Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
trop la Fortune.
— De la chance ? répéta l’adolescent en mettant dans sa voix tout le mépris glacial qu’il pouvait. Quelle chance ? J’étais destiné à devenir empereur. Élagabal me l’a dit. Et c’est Élagabal qui m’a ouvert les portes du pouvoir.
Gannys, loin de se laisser impressionner, leva la main pour l’arrêter :
— C’est l’or de ta grand-mère qui t’a ouvert les portes de Rome, lâcha-t-il durement. Élagabal n’a rien à voir là-dedans, ni même une quelconque prédestination.
Varius resta un instant sans voix, écrasé par l’humiliation. Le rouge monta lentement à son visage et il serra tellement les dents que ses mâchoires saillirent en muscles durs.
— Réfléchis bien Varius, poursuivit Eutychianus, écoute la voix du bon sens.
— La seule voix que j’écoute est celle d’Élagabal, répliqua l’empereur avec aigreur.
Bien que cela lui arrivât rarement, Eutychianus se laissa emporter par son exaspération.
— Tu n’es qu’un enfant obstiné ! Tu raisonnes comme un imbécile !
L’effet de ces paroles sur Varius fut immédiat.
Une étrange contraction déforma ses traits, sous la peau lisse et claire. Ses iris jaunes s’élargirent tout à coup, intenses et luisants.
— Imbécile mais… puissant, cracha-t-il. Veux-tu partir ? Libre à toi !
— Je veux t’aider, répondit Eutychianus.
Le jeune homme eut un rictus sardonique.
— C’est fait, dit-il. Tu m’as suffisamment aidé. Maintenant, je n’ai plus besoin de toi. J’estime que je t’ai assez traîné derrière moi. Tu m’encombres de ta présence inutile.
Pour la première fois, le beau et stoïque visage d’Eutychianus prit une expression douloureuse ; pour la première fois, la tristesse jeta une ombre sur son regard d’ordinaire si placide.
Varius suspendit ses paroles, constatant l’étonnement et la peine de son précepteur, ne sachant trop pourquoi il lui avait parlé ainsi. Mais, incapable de se contrôler et poussé en quelque sorte par son propre trouble, par son propre dépit, il continua d’une voix cassante :
— Je croyais que tu l’avais compris : je ne veux plus de toi dans mes pieds. Tes conseils de radoteur me fatiguent, tu ne m’es plus d’aucune utilité. J’ai l’intention de te remplacer par quelqu’un de plus jeune, de plus avisé et surtout de beaucoup plus drôle. La glorieuse ascension de ton protégé ne t’aura pas servi à grand-chose, mon pauvre Eutychianus.
Gannys ne répondit pas et s’efforça de ne plus rien laisser paraître de son émotion. Rentrant en lui-même, il se fit plus impassible, plus lointain que jamais, s’interrogeant seulement sur les raisons de cette agressivité inattendue.
Depuis quelques mois, il sentait vaguement que Varius se détachait de lui et qu’il avait de moins en moins d’emprise sur lui. Pourtant, il restait intimement persuadé que l’adolescent avait, plus que jamais, besoin de son autorité pour canaliser les excès de son tempérament fantasque et instable.
Décidé à savoir ce que le jeune homme lui reprochait et la cause de cette mauvaise humeur, il le regarda avec une fixité terrible.
— Parle Varius, dit-il d’un ton ferme. Qu’est-ce qui ne va pas ? L’empereur gloussa en singeant son attitude.
— Parle Varius, qu’est-ce qui ne va pas ? répéta ce dernier en imitant le son de sa voix.
— Cesse tes enfantillages, le pria Eutychianus.
— Cesse tes enfantillages, reprit en écho l’adolescent.
— Cela suffit ! Nous parlerons lorsque tu auras retrouvé la raison.
Le Syrien fit mine de partir, mais Varius l’attrapa brutalement par la manche de sa tunique.
— Tu crois que je n’ai pas vu clair dans votre jeu ? dit-il avec hargne. Dans celui de Maesa et dans le tien ? Vous pensiez vous servir de moi, comme d’un petit chien bien dressé ! Vous imaginiez pouvoir me faire faire tout ce que vous vouliez ? N’y comptez pas !
— C’est vrai, nous pensions pouvoir t’être utiles et t’aider à faire preuve d’un peu plus de discernement dans tes décisions. Mais manifestement, nous nous sommes trompés. Tu n’es qu’un gamin sans cervelle, capricieux et buté.
Il vit Varius vaciller sous l’insulte. Mais une impulsion insensée, déclenchée par les provocations de l’adolescent, l’incita à continuer, bien qu’au fond de son cœur il répugnait à tenir ce langage :
— Alexandre, qui a pourtant quatre ans de moins que toi, a
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