Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
est aux yeux des Romains le signe d’un caractère mou et dépravé. Pour eux, la seule tenue acceptable est la toge. C’est le signe de la vertu et de la valeur morale d’un individu, elle incarne sa virilité. C’est elle, enfin, qui le sépare symboliquement du barbare. Que tu le veuilles ou non, la toge est l’uniforme civique des Romains et je ne vois pas comment tu pourrais prétendre ne pas la porter.
— Et moi, je ne vois pas comment vous pourriez m’obliger à la mettre, répondit l’adolescent d’un air ironique.
— Le peuple de Rome attend que tu respectes ses traditions, Varius. Ce serait une terrible erreur de ta part de l’offusquer par des manières et des usages qu’il ne comprend pas et qui lui sont étrangers. Rome ne te connaît pas, aussi te faut-il la séduire.
Varius haussa les épaules d’un air suffisant :
— Pourquoi me fatiguerais-je à la séduire ? Rome est à moi.
— Pas encore, objecta posément Eutychianus.
Le jeune empereur prit un air hargneux et crispa les poings.
C’était toujours les mêmes phrases, les mêmes conseils horripilants ! Tout le monde dans son entourage s’évertuait à le faire changer d’avis, à le convaincre de renoncer à ses coutumes et à sa personnalité. On voulait le déguiser, lui dicter sa conduite, le manipuler comme un petit garçon !
Mais même s’il convenait, au fond de lui, que sa grand-mère et son précepteur avaient raison, même s’il savait que ces rustres de Romains n’accepteraient pas qu’il bouleverse un tant soit peu leurs habitudes, même s’il entendait déjà leurs moqueries, s’il pressentait leurs sarcasmes, il n’avait pas pour autant l’intention de céder et de se renier.
Les injonctions continuelles de Maesa et d’Eutychianus, ajoutées aux étranges impressions qu’il éprouvait depuis son arrivée à Nicomédie, l’accablaient profondément.
Il sentait confusément qu’il était le centre d’une surveillance étrange, que tous les gens de son entourage, certains connus de lui, d’autres qu’il n’avait jamais vus, passaient près de lui en chuchotant et le dévisageaient comme une bête curieuse et grotesque. Bien qu’il les dédaignât, il sentait constamment sur lui leurs yeux narquois et mauvais. Il imaginait aisément les paroles qui pouvaient accompagner ces regards scrutateurs, emplis de mépris : « Le pauvre Varius n’a pas l’envergure d’un chef ! Quel piètre empereur que voilà ! Regardez-le, qui pourrait croire que cet enfant est le fils du divin Caracalla ! »
Sa propre famille, elle-même, ne commençait-elle pas à l’observer de façon inhabituelle, avec une sorte de réprobation et de condescendance railleuse ?
Un flot de colère et de chagrin l’envahit. Un soupir convulsif, involontaire, secoua sa poitrine, puis, comme dégoûté et furieux de sa propre faiblesse, il pinça les lèvres.
— Je ne saurais trop te conseiller d’écouter mes conseils et ceux de ta grand-mère, le prévint gravement Eutychianus. Cela t’évitera certains désagréments lorsque tu seras au Palatin.
Et voilà qu’il recommençait ! s’emporta Varius intérieurement. Pourquoi fallait-il qu’on lui répétât à longueur de temps que sa vie à Rome allait être un cauchemar ? Il avait déjà assez peur de l’avenir et de cette ville inconnue ! Pourquoi Eutychianus enfonçait-il délibérément le fer dans la plaie ?
Dès qu’il essayait d’envisager l’avenir avec sérénité, de chasser ses craintes, son esprit troublé s’échappait dans des digressions lointaines et effrayantes. Des visions fugitives surgissaient devant lui : il s’imaginait rejeté de tous, en proie aux brocards et à la haine de ces sinistres Romains.
D’un hochement de tête il chassa ces images et décida que cette ennuyeuse conversation avait assez duré.
Il regarda son précepteur avec une obstination stupide et répliqua fièrement :
— Lorsque je serai au Palatin, je continuerai à faire comme bon me semble. Je n’ai pas l’intention de changer mes habitudes, je n’ai pas l’intention de changer quoi que ce soit.
— Donc, j’en conclus que tu ne rentreras pas dans Rome en toge, ni même en armure ?
— Tu conclus admirablement bien.
— Inutile d’essayer de te faire changer d’avis ?
Varius esquissa un demi-sourire, en faisant non de la tête.
— Tu as eu beaucoup de chance jusqu’à présent, l’avertit calmement Eutychianus. Ne défie pas
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