Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
ne suis rien ! hurla-t-il en levant les bras au ciel dans un geste de rage impuissante. Rien ! Rien ! Personne ne m’écoute, personne ne m’obéit ! On m’explique ce que je dois penser, on me dicte ma conduite, on m’oblige, on m’accable, on me contredit sans cesse !
Un désespoir immense s’empara de lui, ainsi qu’une envie de pleurer contre l’injustice dont il était victime :
— Est-ce donc cela le privilège d’être l’empereur de Rome ? gémit-il. Est-ce cela, la toute-puissance du maître du monde ?
Autour de lui, les prétoriens, mal à l’aise, assistaient en silence à cette scène pitoyable, mélange de farce comique et de tragédie enfantine.
Varius se planta de nouveau face à Comazon.
— Je veux qu’il meure, décréta-t-il en tapant du pied.
— Qu’a-t-il fait ? interrogea le préfet.
— Rien.
— Alors pourquoi ?
— Parce que je l’exige. Cela suffit.
Valerius Comazon lui tendit son glaive.
— Tes volontés sont des ordres. Puisque Gannys Eutychianus doit mourir, puisque c’est la volonté de l’empereur, qu’il meure donc. Mais qu’il meure par ta main !
Au milieu de la chambre, Gannys écoutait les acteurs de cette pièce inattendue comme s’il n’était qu’un spectateur parmi d’autres. Son visage ne reflétait ni la peur ni l’accablement. Seulement une profonde lassitude, comme chaque fois qu’il devait endurer les caprices de son protégé, qu’il devait supporter ses emportements puérils.
Le jeune empereur s’avança vers son précepteur, le glaive dans la main droite, hésitant tout à coup. Eutychianus haussa les épaules.
— Eh bien, vas-y ! dit-il sans réfléchir.
Encore une fois, il le mettait au défi, sachant pertinemment où se trouvaient les limites de l’adolescent.
Mais au lieu de baisser son arme, comme chacun s’attendait à ce qu’il le fît, Varius enfonça d’un geste rapide la lame effilée du glaive dans le ventre de son précepteur.
Lorsque la pointe de l’épée transperça ses chairs, les yeux du Syrien s’emplirent d’effroi et de stupéfaction. Il regarda, médusé, le glaive planté dans son abdomen, d’où jaillit bientôt un flot rouge. Ce n’est qu’à la vue de son sang qu’il éprouva une atroce douleur et qu’il tituba.
Varius se rapprocha alors davantage de lui, collant son corps contre le sien, afin de le soutenir avant qu’il ne s’écroule.
— Pardonne-moi, souffla-t-il dans l’oreille de son précepteur. Pardonne-moi. Mais il fallait que je le fasse…
Les yeux de sa victime n’exprimèrent plus que le vide de l’agonie. Un mince filet de sang coula de sa bouche sur son menton.
— Il fallait qu’ils comprennent enfin qui je suis… chuchota encore l’adolescent au creux de son oreille.
Lorsque le corps d’Eutychianus s’écroula sur le sol, l’empereur jeta son glaive et l’envisagea d’un air étrange. Ses yeux hallucinés passèrent, successivement, plusieurs fois de suite, du cadavre à l’arme rougie de sang. Il eut alors un petit sursaut, une sorte de convulsion nerveuse et prit sa tête entre ses mains.
— Qu’ai-je fait ? gémit-il en se pliant en deux.
Son esprit parut tout à coup retrouver ses sens et, dans un éclair de lucidité, appréhenda enfin la gravité de son geste.
Puis il se redressa et interrogea les soldats du regard, d’un air repenti, comme un enfant pris en faute et implorant l’indulgence de ses aînés.
Mais les gardes baissèrent la tête, muets et consternés.
— Je ne savais pas… je n’ai pas fait exprès ! Ce n’est pas moi ! se lamenta-t-il en regardant de nouveau, à la dérobée, le résultat de son crime.
Il se couvrit les yeux, incapable de supporter plus longtemps cette vision.
— Je ne voulais pas… je ne sais pas ce qui m’a pris !
Et, haletant comme si la respiration lui manquait :
— Je ne voulais pas… Je regrette !
Un grognement sourd s’échappa de sa poitrine, puis, titubant comme un homme ivre, il fit trois pas en arrière.
— C’est toi ! dit-il en pointant un index accusateur en direction de Valerius Comazon. C’est toi qui m’as tendu le glaive ! C’est toi qui m’as poussé à le tuer !
Le préfet se raidit imperceptiblement et ses grosses joues devinrent soudain aussi pâles qu’un linge. Il réussit cependant à maîtriser la crainte que lui inspiraient les divagations de l’enfant et se résolut à mettre fin à ce délire.
— Non, César,
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