Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
comme une princesse orientale, portait des turbans, des sandales ouvertes, des perles, des colliers, des diadèmes de fleurs.
— Nous n’allons pas tarder à reprendre la route, lui annonça un matin Maesa. Tu ne peux pas faire ton entrée dans Rome habillé de cette façon.
Elle accompagna ses paroles d’un long regard désapprobateur, qu’elle posa délibérément sur la robe turquoise de Varius.
— Pourquoi pas ? répliqua le garçon.
— Un César ne se présente pas devant le Sénat et le peuple romain habillé comme un… barbare. Tu dois porter la toge et faire une entrée triomphale, digne d’un empereur.
— Tu sais que je déteste les vêtements grossiers que portent les Romains. Non seulement ils m’enlaidissent et irritent ma peau, mais ils sont indignes de ma fonction.
— Ta fonction ? Tu n’es plus prêtre, tu es l’empereur de Rome !
— Je suis d’abord prêtre et ensuite empereur, rectifia Varius.
— Oublie ton sacerdoce Varius ! Et oublie Élagabal, pour cette fois ! Le peuple de Rome n’a pas besoin d’une divinité supplémentaire, il en a suffisamment comme ça !
Et elle ajouta, reprenant à son compte la célèbre sentence de Juvenal :
— Il y a beau temps que l’Oronte et le Nil se déversent dans le Tibre, mon pauvre enfant ! Les Romains n’ont que faire d’Élagabal ! Ils ont déjà leurs propres dieux, sans compter les divinités que tous les étrangers, les pérégrins et les esclaves rapportent dans la Cité depuis des lustres ! Ils connaissent Atargatis, Cybèle, le Ba’al de Tyr, celui de Kasios et même Arsou, le dieu des Palmyréniens, sans oublier le Dusarès des Nabatéens, Mithra, Isis, Sérapis et Anubis ! Qu’ont-ils à faire d’une idole de plus ?
Elle marqua une pause pour le laisser en prendre conscience puis reprit :
— Allons, que t’imaginais-tu ? Qu’Élagabal aurait été le premier dieu d’Orient à s’introduire dans l’ Urbs ? Décidément, ton ignorance n’a d’égal que ton orgueil, mon cher petit ! Malakbêl, Iarhibôl, Aglibôl et Baalshamîn ont leur sanctuaire dans le quartier du Transtévère (76) , au pied du Janicule, et Sabazios a même son temple sur la colline du Capitole ! Et je ne te parle pas du dieu des juifs et des chrétiens !
Elle s’interrompit de nouveau, dévisageant Varius avec son air dur :
— Mais sache aussi que les Romains acceptent ces dieux étrangers et les tolèrent tant qu’ils ne menacent pas leurs traditions et leurs propres cultes, tant qu’ils restent des divinités secondaires, propres à divertir la plèbe ou les soldats. Te présenter à eux comme le prêtre d’un dieu syrien sans importance ne peut que froisser leur susceptibilité : ils attendent un empereur, un chef, pas le desservant fanatique d’une pierre noire ! Imagine un peu leur réaction lorsqu’ils te verront dans tes robes colorées, la face enduite de céruse, coiffé de ta tiare solaire ?
Varius se boucha les oreilles de ses mains.
— Je ne porterai pas la toge ! persista-t-il.
— Accepte au moins de mettre une armure et d’entrer dans la ville à cheval !
— Quelle horreur !
— Que penseront les clarissimes et les chevaliers en te voyant arriver dans cet accoutrement ? insista encore une fois Maesa.
— Ils sauront que je suis le grand prêtre du Soleil Invincible et c’est la seule chose qui m’importe ! s’entêta l’adolescent. D’ailleurs, autant qu’ils s’habituent à cette idée le plus tôt possible.
— C’est ridicule ! s’emporta l’aïeule. Je te jure que tu porteras la toge, que cela te plaise ou non !
Et sur cette menace, la vieille princesse tourna les talons et sortit.
Eutychianus, qui avait assisté à la confrontation houleuse entre la grand-mère et le petit-fils tenta, à son tour, de convaincre l’empereur.
— Maesa sait de quoi elle parle, tu dois lui faire confiance, dit-il en s’approchant de Varius.
— Quel mal y a-t-il à porter une robe ? Pourquoi faire tant d’histoire pour un détail aussi insignifiant ?
— Les Romains ne comprendront jamais qu’un homme, et à fortiori leur empereur, s’habille avec des vêtements de femme et arrange ses cheveux comme une fille. Tu peux porter des robes dans tes appartements privés, mais surtout pas en public.
— C’est stupide.
— Essaie de comprendre : à Rome, un homme ne peut mettre un vêtement féminin sans être l’objet d’un blâme. Une telle attitude
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