Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
d’arguments et je ne vois pas qui pourrait lui faire entendre raison.
Monté sur un hongre gris, Valerius Comazon chevauchait à côté du char de la princesse.
— Il faut dire que le dernier qui s’y est risqué l’a payé de sa vie, rappela-t-il.
Personne encore n’avait osé évoquer la mort de Gannys Eutychianus depuis le jour du drame. L’empereur, oubliant vite ses remords, avait ordonné que le nom de son ancien précepteur ne soit plus jamais prononcé en sa présence et dans son entourage.
Maesa, qui ruminait sa rancœur et sa colère, évitait désormais soigneusement son petit-fils. Lorsque les circonstances l’obligeaient à se trouver en sa présence, elle se contentait de le surveiller de son œil noir, les lèvres pincées comme si elles avaient été cousues, le visage impénétrable, se demandant comment elle avait pu ignorer si longtemps les troubles mentaux d’un enfant qu’elle avait vu naître et qu’elle croyait connaître.
Mammaea, quant à elle, se trouvant confortée dans son idée que Varius était un être nuisible et dangereux, surveillait de très près le petit Alexianus et le tenait éloigné, tant qu’elle le pouvait, des dérèglements de son monstrueux neveu.
La pauvre Soemias s’était douloureusement remise de la perte de son amant. L’adoration qu’elle vouait à son divin rejeton l’avait amenée à effacer de sa mémoire cet événement aussi douloureux qu’incompréhensible.
— Quelle fin tragique, soupira Maesa. Mais dans son malheur, Eutychianus a eu plus de chance que nous… Lui, au moins, n’assistera pas à cette mascarade.
Elle se cala sur les coussins afin de soulager la douleur lancinante que le roulement cahotant du char sur les pavés déclenchait au creux de ses vieux reins.
— Pourquoi n’ai-je pas quitté le convoi à Arezzo ? dit-elle en exhalant un nouveau soupir. Je serais arrivée la première à Rome et la honte m’aurait été ainsi épargnée.
— Les Romains aiment les jeux et la démesure. Peut-être que le spectacle que s’apprête à leur offrir Varius les réjouira ? répliqua le préfet, pour faire de l’esprit.
Maesa réprima, malgré la tension qui montait en elle, un sourire amusé.
— Oh, pour ça, j’imagine assez bien la tête que vont faire les Pères conscrits et le peuple ! Ils vont certainement penser qu’il s’agit d’une pompa circensis ! déclara-t-elle avec une dérision amère.
Elle avait souvent assisté à ces parades pittoresques qui précédaient les jeux du cirque et de l’amphithéâtre. Dans ces cortèges, la jeunesse romaine, les danseurs et les musiciens qui accompagnaient les athlètes, se livraient à toutes sortes de facéties et de pitreries infantiles.
— Peut-être aurions-nous dû suggérer à Varius de se déguiser en gladiateur ? renchérit Comazon pour faire un nouveau trait d’humour. Qui sait s’il n’aurait pas trouvé l’idée intéressante, lui qui affectionne tellement les travestissements ?
Maesa s’imagina un bref instant le ridicule et l’insolite de cette situation. Elle se laissa aller, en gardant son air sérieux, à une raillerie caustique :
— J’imagine assez mal ce mollasson abandonner ses robes de soie et ses diadèmes pour revêtir la tenue des gladiateurs. Quant à lui suggérer de porter sur ses jolis cheveux parfumés un casque à cimier, je n’en aurais certainement pas pris le risque !
Mammaea, qui était allongée près de sa mère avec Alexianus, prit sa figure grave des mauvais jours :
— Comment pouvez-vous plaisanter dans un moment pareil ? s’indigna-t-elle en se redressant. Nous allons être la risée de Rome ! Et tout ce vous trouvez à faire, c’est d’essayer d’être drôles !
— Que veux-tu que nous fassions d’autre ? répondit Maesa avec un mouvement d’épaules.
— Le contraindre à obéir, par exemple ! Tu aurais dû l’obliger à revêtir la toge !
— Je lui ai concédé ce dernier caprice, fit sa mère d’une voix redevenue froide, parce qu’il est l’empereur. Et parce qu’il en faisait une question de principe. Mais crois-moi, ce sera le dernier.
— Le dernier ? Autant croire qu’il va pousser des ailes aux dromadaires ! lâcha Mammaea.
Valerius Comazon poussa un gloussement tout à fait grotesque en guise de rire et se tapa la cuisse.
— La garde est-elle prête ? demanda Mammaea en le foudroyant du regard. Que l’armée, au moins, nous fasse honneur lorsque nous
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