Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
préfet expira un soupir de soulagement.
— Impossible de dénicher un tel animal dans ce pays de rustres ! déclara Varius. Je n’ai vu que des moutons et des chèvres ! Mais que font ces Romains avec toutes ces chèvres ? S’accouplent-ils avec elles ?
Comazon se tortilla, mal à l’aise sur sa selle.
— Quant à Élagabal, poursuivit le jeune empereur avec un regard espiègle, j’avais souhaité faire conduire son char par des léopards ou des lions. Voilà qui aurait été digne de lui, non ?
Varius ferma les yeux et s’immobilisa. Il posa son index sur sa bouche, comme absorbé par une soudaine réflexion.
— Mais en y pensant… ajouta-t-il, peut-être pourrions-nous remplacer les léopards par des prétoriens ?
— Des soldats… ? Je… je ne comprends pas, César.
— Tu ne comprends jamais rien depuis quelque temps. À croire que tu étais plus malin avant d’être nommé préfet du prétoire par ma grand-mère. Pourquoi faut-il que je te répète toujours dix fois la même chose ?
À présent, il toisait Comazon, les deux mains sur les hanches.
— Tu n’as pas compris ? J’exige que les prétoriens tirent le char d’Élagabal. Nous allons leur faire ôter leurs cuirasses d’écailles et leur faire revêtir, à la place, des peaux de léopard.
— Oh, César ! s’offusqua Comazon. Les soldats ne…
— Tais-toi ! coupa le jeune empereur. J’ordonne que mon dieu soit tiré par des hommes-panthères !
Il jeta un coup d’œil en biais à sa mère.
— C’est encore mieux, non ?
Valerius Comazon regardait tout autour de lui, l’air complètement perdu.
Le jeune empereur éclata d’un grand rire aigu, heureux de sa bonne blague.
— Comme tu es rouge mon cher Comazon ! Comme tu as l’air bête ! Je plaisantais !
Le préfet du prétoire se ressaisit et gonfla le buste.
— Alors, César ? Dois-je faire amener la jument ? demanda-t-il en digérant l’humiliation.
Cette fois, Varius lui lança un regard glacial.
— Non. Si j’entre dans Rome à cheval, les Romains ne verront que moi, ils n’auront aucun regard pour Élagabal. J’irai à pied et selon mon idée. Et que l’on ne vienne plus me dire ce que je dois faire !
* * *
Le peuple, massé dans les rues, attendait son empereur avec une exaltation fébrile.
Des femmes, des enfants, des hommes de tout âge s’agglutinaient le long de la via Appia et à l’angle des rues adjacentes, piétinaient devant les insulae (79) , bouillonnaient d’impatience sous les portiques, sur les degrés des temples.
Des branches de laurier jonchaient le sol et le seuil des maisons était orné de guirlandes et de couronnes en signe de réjouissance.
Parmi les rassemblements échelonnés depuis l’entrée du Palatin jusqu’à la porte Capena par laquelle devait arriver l’empereur, les conversations portaient naturellement sur la beauté et l’allure du jeune Antonin, ce fils envoyé par les dieux au peuple de Rome, inconnu de tous, mais dont la renommée, tout le monde le pressentait instinctivement, allait dépendre de cette entrée triomphale.
— Il arrive ! s’écria un homme perché sur un toit, tandis que les soldats faisaient se ranger la foule pour libérer le passage sur la voie.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Les sénateurs et la délégation des chevaliers qui s’étaient assemblés afin de marcher à la rencontre de l’empereur s’immobilisèrent dans une attitude solennelle, tandis qu’un murmure de satisfaction et d’excitation se leva au cœur de la plèbe.
Les hommes jouèrent des coudes pour se placer au premier rang, les femmes installèrent leurs enfants plus haut sur leurs épaules, les uns et les autres se soulevèrent tant qu’ils purent sur la pointe des pieds, éprouvant soudain une vive émotion teintée d’inquiétude joyeuse.
Lorsqu’apparut enfin le convoi, tous tendirent le cou, espérant voir apparaître sur un fougueux cheval le fils valeureux de Caracalla, le glorieux vainqueur de Macrin à Immae. D’autres se poussèrent pour mieux admirer le bel empereur au visage d’Adonis, noblement drapé dans son vêtement de pourpre et couronné de laurier.
Mais au lieu du demi-dieu idéalisé, ils ne virent, en tête du cortège, qu’une créature étrange à la bouche peinte en rouge et aux yeux cernés de khôl, une créature dont personne, de près ou de loin, ne put dire sur l’instant si elle était un homme ou une
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