Le secret de la femme en bleu
conclure, à bon droit, qu’il savait ?
— Bien d’autres explications peuvent venir à l’esprit, déclara le comte avec humeur. Mais, en vérité, comment écarter celle-ci ?
— Et comment alors, ajouta l’assistant du missus, ne pas poser cette terrible question : Régina savait-elle aussi ?
Childebrand serra les poings.
— Le diable t’emporte ! s’écria-t-il, furieux.
Et il quitta la pièce à grandes enjambées.
Dès la nuit suivante, ceux qui avaient, par deux fois déjà, fait parvenir au comte Childebrand des messages étranges et insolents renouvelèrent leur défi. Doremus et Sauvat avaient prévu une telle éventualité et s’y étaient préparés, car les succès de la témérité, en suscitant, quoique de manière fallacieuse, un sentiment d’impunité, conduisent tôt ou tard leurs bénéficiaires à une imprudence fatale.
Ils se levèrent donc avant l’aube et, armés de coutelas, entreprirent une ronde dans les allées de la résidence impériale que commençaient à parcourir hommes de peine, artisans, serviteurs et servantes. Ils croisèrent deux patrouilles et eurent quelque difficulté à se faire reconnaître des miliciens qui redoublaient de zèle. Comme ils regagnaient le cœur de la villa après avoir fait le tour des bâtiments, ils aperçurent dans le demi-jour un homme qui s’adressait à un jeune garçon (un esclave apparemment) tout en observant attentivement les alentours. L’intrus, qui semblait vêtu avec une certaine recherche, désigna d’un geste autoritaire l’aile droite du palais. Il remit un petit paquet à son messager de rencontre et partit, en courant, vers l’enceinte est du domaine, tandis que je porteur se dirigeait en hâte vers le logement du comte Childebrand.
Doremus chargea Sauvat de suivre ce dernier sans l’intercepter toutefois et de tenir le missus dominicus informé. Pour sa part, il se précipita aux trousses du fuyard. Celui-ci accéléra son allure tout en se glissant avec une agilité surprenante entre les constructions dont il utilisait la disposition. Il parvint rapidement au pied du rempart qu’il escalada grâce à des marches récemment creusées. Il rejoignit ainsi un archer qui l’attendait sur le chemin de ronde et décocha trois traits en direction de Doremus, sans l’atteindre, mais en l’obligeant à ralentir. Cinq ou six pieux de la palissade avaient été sciés à la base. Les deux hommes, après avoir franchi cette brèche, dévalèrent le talus, traversèrent la sente qui courait le long de la Moselle et disparurent dans les fourrés bordant la rivière. L’ancien rebelle, qui avait repris avec ardeur la poursuite, perdit du temps à découvrir la trouée. Elle donnait sur un raidillon conduisant à une petite plage avec un embarcadère rudimentaire. Quand il y arriva, il vit une barque qui s’éloignait du rivage. Quatre hommes, dont deux rameurs qui nageaient avec vigueur, y avaient pris place. Celui que Doremus avait serré de près se retourna et regarda longuement son poursuivant, sans craindre apparemment d’être reconnu. Par défi ?
L’assistant du missus, qui regrettait de n’avoir pas emporté un arc et des flèches, surveilla pendant quelques instants encore l’embarcation qui s’approchait en oblique, lentement, de la rive droite de la Moselle et, ainsi, dépassa Yutz. Ceux qu’elle transportait voulaient-ils gagner un débarcadère situé en aval du bourg ou s’agissait-il d’une ruse pour éviter de donner à celui qui continuait de guetter sur la rive des indications quant à leur destination ? La barque franchit un méandre et Doremus la perdit de vue. Il se hâta de rentrer au palais.
Sauvat l’y attendait, à la fois inquiet et curieux. L’ancien rebelle fut étonné, et soulagé, de ne pas être accueilli par le comte Childebrand qui ne l’aurait certainement pas félicité pour avoir laissé l’un des « messagers du diable » s’échapper. Le colosse lui tendit le coffret qu’avait apporté le jeune esclave. Il contenait un parchemin sur lequel était écrit un troisième avertissement, en l’occurrence cette simple question : « A qui cela profite-t-il ? » Sauvat expliqua que le comte, après en avoir pris connaissance, avait réfléchi un long moment, puis, brusquement, avait quitté la pièce sans indiquer où il allait.
Doremus raconta à son collaborateur les péripéties de sa poursuite infructueuse ; puis il reprit en main le parchemin et l’examina de nouveau
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