Le secret de la femme en bleu
comme s’il pouvait y découvrir quelque indice caché, après quoi il le replaça précautionneusement dans son coffret.
— C’est étrange, dit-il, oui, étrange que ce message vienne, comme à point nommé, renforcer les doutes qu’avaient fait naître les précédents avertissements et surtout la révélation d’Odile quant au véritable dessein des bandits… Crime ou vol ?
— Admettons qu’ils aient voulu, avant tout, tuer Rikhilde et ses enfants, surtout, si je peux dire, ce Clodulf. Pourquoi ? Pour de tels crimes il faut un motif puissant. Si ce n’était pour faire main basse sur une fortune, alors quoi ? Pour en finir avec un bâtard. Et d’abord de quel bâtard s’agit-il ? Engendré par qui ? Rikhilde n’était après tout qu’une servante, haut placée sans doute, mais une servante.
— … Et le père, cependant, n’était autre, sans doute, que l’empereur…
Les deux hommes demeurèrent un moment silencieux et pensifs.
Doremus tapota sur le coffret contenant le troisième message.
— Une demi-journée seulement s’est écoulée entre la révélation d’Odile et ce nouveau défi, reprit-il. Un aussi bref délai ne t’a-t-il pas frappé ?
— Oh si ! On dirait bien que celui qui nous a adressé ce parchemin avait été tenu au courant sans délai. Peut-être même était-il là quand l’agonisante…
Childebrand rentra à cet instant, l’air préoccupé, dans la salle où se tenaient ses deux aides.
— Il faudra pourtant que j’en aie le cœur net, grommela-t-il en s’asseyant.
Il resta un moment le regard dans le vague, puis, subitement, parut découvrir la présence de Sauvat et de Doremus. D’un signe de tête, il invita ce dernier à lui rendre compte. Il écouta son récit sans marquer la moindre humeur.
— Heureusement, les flèches tirées par ce scélérat ne t’ont pas atteint, dit-il pour tout commentaire.
Il se leva, fit craquer les jointures de ses doigts et ajouta :
— Eh bien, tu sais ce qu’il te reste à faire !
Le passeur n’avait pas accepté sans réticence de transporter à Yutz le singulier moine mendiant qui avait exigé ses services à l’embarcadère de Thionville. L’homme était vêtu d’une tunique rapiécée, serrée à la taille par une ceinture à laquelle était fixé dans une gaine un coutelas, de braies maintenues sur ses jambes par des bandelettes croisées et, par-dessus, d’une sorte de coule en bure. Il était chaussé de gros souliers. Comme coiffure, il portait un bonnet de fourrure mitée, qui était enfoncé jusqu’aux sourcils. A une courroie passée sur l’épaule gauche était suspendue une musette qui contenait sans doute son écuelle et sa cuillère, ainsi qu’un peu de nourriture et peut-être quelques piécettes. L’allure de ce moine était inquiétante, sa parole rare, son accent, en francique, exécrable. Pendant la traversée, il demeura immobile sur son banc et semblait marmonner des prières. Au débarcadère de Yutz, il paya son passage d’une bénédiction et s’éloigna rapidement vers le centre du bourg.
Il entra dans l’une des deux auberges de la localité sous l’œil soupçonneux du tavernier. Celui-ci, pour se débarrasser au plus vite de cet hôte indésirable, lui indiqua d’un ton rogue qu’il était prêt à « remplir son écuelle d’une soupe bien grasse », après quoi il lui demanderait « d’aller digérer ailleurs et même…» Le regard que lui lança le moine à cet instant tarit net son éloquence. Le voyageur montra sa musette.
— Garde ton brouet ! dit-il. J’ai là ce qu’il faut.
— Alors, que viens-tu faire ici ?
— Y rencontrer des amis qui ont dû arriver voici quelque temps déjà.
— Des amis ?
L’aubergiste s’esclaffa.
— Eh bien, s’ils sont tous comme toi !
— Prends garde ! jeta le moine. Ils risquent d’être beaucoup moins patients que moi. Alors, reprenons cela tranquillement ! Je te parlais de gens venus de loin, du Sud en tout cas, et qui seraient à Yutz ou dans les environs depuis trois ou quatre semaines, certains depuis quelques jours seulement.
— Depuis un mois, répondit le tavernier de mauvaise grâce, entre la résidence – là en face – et notre bourg, c’est un va-et-vient qui n’arrête pas. Des tas de gens, de toute sorte. Va te reconnaître dans tout ça… Alors des amis à toi… tu penses…
— Refuserais-tu d’aider ton prochain ? Ne craindrais-tu pas la colère de Dieu ?
L’aubergiste se
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