Le secret de la femme en bleu

signifier que, même absent, j’y poursuis ma mission. Doremus !
    — Oui, seigneur ?
    — Je t’en confie la garde !
    L’ancien rebelle mit un genou en terre pour la recevoir à son tour. Il se releva pour aller la placer solennellement, seule, sur un support.
    — Allez ! ordonna alors le Nibelung à son écuyer et à son valet. Je vous rejoins ! Toi, Doremus, voici mes ordres !
    Ce dernier revint se placer à trois pas devant le missus dominicus dans l’attitude du respect.
    — Avec Timothée et aidé par Sauvat, reçois de moi autorité pour entreprendre ce que les circonstances exigeront ! Tu pourras faire appel au frère Antoine. A tous trois, Timothée, lui et toi, je confère le droit de requérir toute aide et tout moyen que vous estimerez nécessaires. Tu me rendras compte dès mon retour de ce qui aura été accompli dans l’exercice de cette responsabilité. Tels sont mes ordres !
    Doremus retint, avant qu’elle ne franchisse ses lèvres, la question : « Et concernant l’abbé Erwin ? », s’étant rendu compte à temps de l’énormité de la bévue qu’il aurait commise en soulevant un problème que Childebrand avait sans doute éludé à dessein. Il se contenta de la formule rituelle :
    — Entièrement à tes ordres, seigneur !
    Le missus tapa deux fois dans ses mains. Un serviteur apparut.
    — Un gobelet pour moi, un pour lui ! ordonna-t-il.
    Childebrand et Doremus levèrent leurs gobelets et burent, face à face, une gorgée de cervoise. Puis, ayant abandonné l’allure raide et le ton rude du commandement, le missus reprit :
    — Je serai de retour dans moins de deux semaines… je pense. Inutile de te rappeler que nous avons affaire à forte partie, que vous disposez de moyens encore limités et de recours peu sûrs. Alors…
    Il prit congé d’un geste de la main, pendant que son assistant s’inclinait.
    — Mais, Dieu de Dieu, il ne va pas être plaisant d’informer de tout cela mon impérial cousin, grommela le Nibelung en s’éloignant.

CHAPITRE IV
    Dès la collation de la mi-journée, l’assistant du missus dominicus eut à prendre une décision lourde de conséquences éventuelles : le domestique qui lui servait son dîner lui avait appris que, selon des bruits recueillis aux cuisines, Fabian devait se rendre le lendemain à Yutz, et peut-être en d’autres localités, pour des achats de grain, de vin et de cervoise, ainsi que de fruits secs et de miel. Doremus s’interrogea. Devait-il en avertir Lithaire, comme il le lui avait promis, ou bien, eu égard aux dangers au-devant desquels la conduiraient ses entreprises, valait-il mieux le lui taire ? Il mesura à cette occasion combien était angoissant l’exercice d’une responsabilité entière, sans l’égide d’une autorité supérieure. En l’occurrence, il finit par juger que la jeune femme, qui, en d’autres temps, s’était montrée avisée et courageuse, méritait mieux qu’un silence plutôt méprisant. Quel crève-cœur pour elle qu’on ne donnât pas suite à l’offre qu’elle avait faite, parce qu’on l’aurait estimée inexperte et trop vulnérable !
    L’ancien rebelle, son repas terminé, se rendit à Yutz pour en délibérer avec Timothée. Il trouva le Grec, encore attablé en compagnie du frère Antoine, devant un copieux en-cas au domicile de la jeune et coquette veuve qui lui avait offert l’hospitalité. Il mit ses amis au courant des dispositions prises par le comte Childebrand avant son départ pour Aix, sans insister sur le rôle particulier qui lui était dévolu.
    De son côté, le moine indiqua que, sur ordre de l’abbé Erwin, il avait mis fin, au moins provisoirement, à sa récollection.
    — Je vois, dit Doremus, en montrant la table copieusement garnie.
    — Oui, commenta le Pansu en souriant, je me satisfais de tout dès lors que je ne manque rien.
    Le frère Antoine précisa ensuite que le Saxon lui avait demandé de s’installer à Metz même, comme un clerc qui reviendrait d’un pèlerinage sur le tombeau de saint Martin à Tours. Aucune consigne : simplement observer et recueillir toute information susceptible d’avoir quelque rapport avec l’affaire de Thionville.
    — Pourquoi Metz où, apparemment, il ne se passe rien d’important à cet égard, je ne sais, confessa le moine. Mais il doit avoir quelque idée en tête… Il a chargé le diacre Dodon d’assurer la liaison entre lui-même au monastère de Gorze et moi à Metz ; je devrai la maintenir avec Timothée,