Le secret de la femme en bleu
d’être reconnue par Hunault qu’elle avait rencontré quelques fois lorsqu’il rendait visite à Rotrude. Mais pourrait-il penser, en voyant une bateleuse, à la dame d’atour réservée qui servait la fille du souverain ? Peut-être jetterait-il un coup d’œil méprisant sur elle, sur sa vêture qui dénonçait son état. Lithaire espérait d’autant plus passer inaperçue que les goûts de Hunault ne le portaient guère à s’intéresser à l’allure, à l’apparence, à la mise des femmes. On le savait à la cour. Cependant il s’était montré suffisamment discret, voire secret, sur ses penchants pour que cela ne lui ait pas trop porté préjudice, bien que l’âge, loin de les apaiser, les eût plutôt exacerbés.
Tout en expliquant à un garde zélé la raison de sa présence, agréée par la mission impériale, ainsi que les projets de « sa troupe », puis en bavardant avec des servantes qui lui avaient demandé la bonne aventure, elle observait le logis occupé par Hunault et sa domesticité personnelle. Après une courte attente, elle le vit arriver en compagnie d’un homme jeune, de belle prestance, vêtu d’une façon un peu trop voyante, et qui semblait s’adresser à lui avec respect, mais aussi familiarité… Elle avait déjà vu ce personnage… mais oui, précisément dans les appartements de Rotrude, et en conversation intime avec Hunault, à deux ou trois reprises… Elle se souvenait maintenant… c’est cela : il s’appelle Fabian ; on le dit fort entreprenant et prêt à tout, y compris à user de sa prestance et de sa virilité, pour servir ses ambitions, sans établir de différence entre celles-ci et ceux-là… point encombré de scrupules, en rien…
Les deux hommes passèrent non loin de la jeune femme. Hunault ne quittait pas des yeux son interlocuteur. Il ne prêta aucune attention à Lithaire. Mais Fabian était constamment aux aguets. Son regard parut s’arrêter sur la saltimbanque, puis il reprit la conversation. Avait-il été seulement intrigué par une présence insolite ? L’avait-il reconnue ?
A ce moment, Médéric sortit du corps de garde pour se diriger, avec deux serviteurs, vers les écuries. Dès que Fabian l’aperçut, il s’éloigna de Hunault après quelques mots, d’excuses sans doute, pour se précipiter à la rencontre du chef de la milice. Les deux hommes s’entretinrent assez longuement et de façon animée. Puis Fabian revint auprès de Hunault qui l’avait attendu.
Lithaire jugeant que, déjà, elle ne s’était fait que trop remarquer, décida de ne pas s’attarder. D’ailleurs, ce qu’elle avait observé était suffisamment important pour qu’elle en fît part sans tarder à Doremus qui devait l’attendre près des écuries situées à la porte du nord.
— Ce Fabian, lui indiqua celui-ci, quand elle l’eut rejoint, est chargé auprès du représentant du sénéchal, donc de Hunault, de tout ce qui a trait aux approvisionnements, nourriture, fourrage, bois… Il s’acquitte fort bien de sa tâche et son zèle l’amène à se rendre souvent à Yutz ainsi que dans les domaines de la région, jusqu’à Metz.
L’ancien rebelle s’interrompit et fixa la jeune femme que cette dernière précision avait vivement intéressée.
— Mais oui, s’écria-t-il, si les soupçons qu’on peut nourrir quant au rôle joué par Hunault au service de Rotrude étaient fondés, ce Fabian, avec ses déplacements, pourrait…
Il n’acheva pas sa phrase. Lithaire l’avait approuvé gravement.
— Alors, quant à ce Médéric… ajouta-t-il. Rien d’autre peut-être que cette conversation quelque peu étrange… Mais quand même : n’avons-nous pas, jusqu’ici, négligé cette piste ?
— Il en est une, en tout cas, que nous serions impardonnables de négliger, enchaîna la jeune femme : les déplacements, à Yutz et au-delà, de ce Fabian ! Pourrai-je en être prévenue très rapidement ?
— Sans doute. Par Timothée ou par un messager.
— Pas de messager ! Timothée lui-même… et cela pour plusieurs raisons…
Elle ne s’expliqua pas davantage.
— Lithaire, pour l’amour du Christ… à quoi penses-tu ? lança Doremus en se signant avec un air inquiet. Nous avons affaire à des gens rusés et cruels. Nos seigneurs n’accepteraient jamais que tu…
Elle posa sa main sur le bras de son ami.
— Cela ira, murmura-t-elle.
— Cependant, Lithaire…
— Crois-moi, cela ira.
Comme Doremus regagnait le palais, il vit
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