Le secret de la femme en bleu
croulant par pans entiers, et ses nombreuses brèches permettaient de pénétrer facilement au cœur de la cité. Des quartiers populeux s’étaient développés extra-muros autour de leurs églises paroissiales.
L’abbaye Sainte-Glossinde, située au sud de la ville, était incluse dans l’enceinte. De la sorte son portail principal et une issue réservée aux nonnes donnaient sur une petite place située dans la cité elle-même. A l’opposé, une porte de service, qui permettait aux marchands de livrer vivres et fournitures et aux artisans de pénétrer dans le couvent pour des travaux d’aménagement ou d’entretien, s’ouvrait sur des faubourgs au centre desquels se trouvaient des édifices consacrés à sainte Marie et à saint Aper.
C’est le surlendemain du jour où l’accès à l’abbaye Sainte-Glossinde avait été refusé à la femme en bleu, que celle-ci, Magne, son second, Alban, et trois hommes, vêtus de longs manteaux sous lesquels ils devaient dissimuler des armes, se présentèrent, le matin, devant le portail du couvent. A peine la sœur tourière avait-elle entrouvert un vantail que Magne et ses complices, suivis de celle qui paraissait les commander, forcèrent le passage et pénétrèrent dans l’abbaye en maîtrisant et bâillonnant la religieuse. Un des agresseurs gagna en hâte l’issue latérale et agit de même avec la sœur qui y assurait une garde. Il demeura sur place pour surveiller et la nonne et l’ accès.
Après avoir confié à un homme de main le soin d’empêcher également toute irruption par la grande entrée, la femme en bleu ainsi que Magne, Alban et le troisième sicaire s’engageaient dans les couloirs du couvent à peu près déserts à cette heure-là, car les nonnes s’étaient rendues à la chapelle pour l’office de tierce ( 39 ). Les trois hommes avaient dégainé. Le groupe ne rencontra que deux lingères qui, mortes de peur, laissèrent tomber leurs paniers remplis de draps. Elles se retrouvèrent ligotées, un bâillon dans la bouche, avant d’avoir pu proférer un son.
Les intrus poursuivirent leur progression en redoublant de précautions, en direction de la cellule qu’occupaient Agnès et son fils. Comme ils s’en approchaient, le sicaire se détacha du groupe pour se rendre à la porte de service où il maîtrisa la religieuse qui y était en faction pour qu’elle ne puisse donner l’alerte.
Devant cette porte arriva alors un chariot couvert, tiré par deux chevaux attelés en file, à l’ancienne, et semblable à ceux qu’utilisaient les marchands pour les chargements lourds tels que farine, viande ou bois. Il fut placé de manière à empêcher toute entrée ou sortie. Il était escorté par deux cavaliers armés tels que les embauchaient les négociants qui voulaient faire protéger leurs convois.
Au même moment, de l’autre côté, deux « promeneurs » portant des vêtements de moine commencèrent à faire les cent pas devant le portail de l’abbaye, en surveillant attentivement les alentours. Tout semblait tranquille. Ils arpentaient le parvis en devisant plaisamment.
Tout à coup ils vacillèrent. L’un d’eux essaya d’arracher de sa poitrine un trait dont l’empenne dépassait le devant de sa coule. L’autre aspira l’air désespérément, une flèche fichée dans la gorge. Le premier, atteint de nouveau par un trait, également à la poitrine, s’effondra pesamment. L’autre tournoya un instant, le visage tendu vers le ciel, puis il s’écroula en vomissant du sang ; quelques soubresauts l’agitèrent encore et la mort l’immobilisa.
Les sicaires qui, à l’intérieur du couvent, continuaient de tenir à l’œil, l’un la sœur tourière, l’autre, à la porte latérale, la nonne qui aurait dû y monter la garde, surveillaient également la cour qui s’étendait devant la façade de l’abbaye, grâce aux judas qui, en temps ordinaire, permettaient aux religieuses de reconnaître celles et ceux qui frappaient à l’huis.
Celui qui s’était posté à la grande entrée s’étonna le premier que la place fût vide avant d’apercevoir, gisant, les hommes qui avaient été chargés de les avertir en cas de danger. Il demeura un instant l’œil collé au judas. La disposition des corps, leur immobilité et les ruisseaux de sang qui coulaient lentement sur le sol ne laissaient place à aucun doute. Il fallait au plus vite avertir ceux qui, maintenant, devaient se trouver à proximité de la cellule
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