Le secret de la femme en bleu
lui, avait continué d’examiner la face tourmentée de l’être dont la mort venait de figer les traits.
— Oui, dit-il. Je me souviens… C’est cela : Raynal… cet étrange personnage que le vicomte de Châteauroux avait choisi comme adjoint… et qui, en réalité… A peine l’ai-je entrevu… Mais j’en suis sûr maintenant : non, je ne puis me tromper… C’est bien lui… D’ailleurs…
Childebrand ne se contint plus.
— Quoi, s’écria-t-il, ce chef de bande… cette crapule qui était parvenue à nous échapper ? Mais comment ? Ah ! par le cul du diable… Raynal ? Cette fripouille abjecte…
Tandis que le comte poursuivait ses anathèmes, le Saxon était demeuré songeur.
— Raynal… reprit-il. Étrange destinée… Cette double vie en Brenne… La rébellion mystérieuse… Et ici, à tant de lieues de ses marécages…
Il désigna le corps de la main.
— … la fin !… La mort !… Ces « compagnons de la nouvelle lune »… Tout ce qu’ils avaient rêvé, voulu, entrepris pour la cause aquitaine… Ce qu’ils avaient commis… comme si souvent, le pire au nom d’un rêve… Et le voici, là, devant nos pieds, dans cette tunique de femme… Ses yeux qui ne voient plus rien ici-bas. Mais ailleurs, quel ailleurs ?… qu’aperçoivent-ils maintenant ?
— Ah ! sans nul doute, les flammes et les tourments de l’enfer où il doit commencer de… Mais d’abord, pourquoi ce Raynal, ici ? lança Childebrand qui s’était quelque peu repris. Pourquoi, et dans cette cellule ? Pourquoi, ventre-Dieu ? Il est vrai qu’avec de tels monstres… Et avant ? Ces événements qui, depuis des semaines, nous ont mis sur les dents, qui ont jeté le trouble jusque parmi les grands, jusqu’à la cour…
Il fixa son ami.
— Mais pourquoi ?
Erwin se caressa la nuque et le menton.
— Oui, je sais, énonça-t-il, le regard au loin : un abominable dessein inspiré par la noire vengeance… Ce cynisme… cette froide cruauté… Un être possédé par le Malin ? Peut-on oublier un seul instant tout ce sang sur ses mains ? Mais, d’un autre côté…
Childebrand regarda son ami avec un air vaguement soupçonneux.
— Lui aurais-tu volontairement laissé le temps de se donner la mort ? demanda-t-il.
— Non, sois-en certain ! Il aurait eu tant de choses à nous révéler. Mais voilà : qui peut échapper à son destin ? Cependant d’autres vivent encore.
— Par Dieu, assurément ! Et, crois-moi, ceux qu’avec l’aide du Tout-Puissant nous prendrons vivants, ceux-là ne nous cacheront pas longtemps ce qu’ils savent ! Par tous les saints, sûrement pas !
— Ce n’est pas à ceux-là que je pensais.
Magne, dans l’espoir de parvenir au portail et, par là, de prendre le large, s’était dirigé en courant vers la galerie qu’il avait empruntée à l’aller. Le frère Antoine s’y trouvait déjà en compagnie de deux gardes, ceux-là mêmes qui avaient transpercé de leurs flèches les deux complices des sicaires. Ils avaient pénétré ensuite dans l’abbaye, secouru les deux religieuses, les libérant de leurs liens et enlevant leurs bâillons, puis ils s’étaient hâtés d’apporter leur renfort à leurs seigneurs et à ceux qui étaient à l’œuvre à l’intérieur du couvent. Ils étaient arrivés ainsi en vue du frère Antoine qui leur fit signe de venir rapidement près de lui car il avait aperçu Magne débouchant d’un couloir latéral.
Ce dernier s’était déjà engagé dans la galerie quand il vit le Pansu qui était flanqué des deux gardes armés d’épées, portant arc et carquois. Il s’arrêta brusquement et fit demi-tour pour tenter de fuir par la porte de service. A quinze pas de lui, empêchant toute retraite, se tenait Timothée qu’avait rejoint le colosse roux. Magne demeura immobile, ne sachant plus quel parti prendre.
— Laissez-le-moi ! cria le frère Antoine. Ah ! merci Seigneur pour m’avoir offert un tel instant !
S’adressant au fuyard, il lança :
— Tu n’es plus ici dans ton marécage… sentiers secrets… eaux traîtresses… complices… Il frappa le sol du pied.
— Ici, des dalles et des murs !… Regarde ! Regarde bien autour de toi ! Même le diable ne te sortirait pas de ce piège !
Il demeura silencieux un court instant.
— Un piège… Oh ! bien différent de celui dans lequel tu m’avais fait tomber ! Ici, pas de bacchanales, pas de tapages infâmes ! Ici, le service de Dieu…
Un temps.
— … et celui de
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