Le secret de la femme en bleu
Charles le Juste ! Oh ! je pourrais te tuer. Mais non, je te veux vivant !
Il éclata de rire.
— Oui, vivant ! Car tu en auras des choses à nous dire et, crois-moi, tu nous les diras ! Toutes ! Finie la comédie ! Approche-toi et donne-moi ton glaive ! Oui, à moi ! Allons !
Au lieu de cela, Magne tenta de saisir sa dague, sans doute pour se donner la mort. A peine avait-il esquissé ce geste qu’il dut, en grimaçant, porter les deux mains à sa cuisse droite dont dépassait le manche d’un couteau. Déjà Timothée et Sauvat étaient sur lui pour le maîtriser. Il fut confié aux deux gardes qui l’emmenèrent vers la prison après avoir mis en place un garrot. Le moine s’était agenouillé pour une courte prière d’action de grâces.
Quant à l’adjoint de Magne, Alban, qui avait, lui aussi, abandonné à son sort la « femme en bleu », il s’était dirigé vers la porte de service qui donnait sur le faubourg Sainte-Marie. Il espérait y trouver encore celui qui, dès le début de l’opération, avait été chargé d’y monter la garde et, à l’extérieur, comme prévu initialement, un renfort de cinq ou six combattants conduit par Fabian.
Il parvint à rejoindre son complice qui regardait de temps à autre les alentours et était rassuré par la présence du fourgon où devaient se dissimuler Fabian et ses hommes, ainsi que par celle des cavaliers d’escorte. Tout était calme. Tout se déroulait selon le plan arrêté.
Les nouvelles que lui apporta le fuyard le frappèrent de stupeur. D’abord, il refusa d’y croire.
— Impossible, mais c’est impossible, tout à fait impossible ! répétait-il, atterré.
Les détails qui lui furent fournis finirent par le convaincre que non seulement « le coup était manqué », mais encore que ceux qui y avaient pris part risquaient le pire : être mis à mort au cours d’un combat inégal ou, sort plus redoutable encore, être capturés vivants ! Ces éventualités lugubres raffermirent le courage et la détermination des deux hommes : il fallait quitter au plus vite ces lieux où rôdait la mort, et prévenir ceux qui, sur la place, devaient, insouciants, guetter l’arrivée d’Agnès avec son fils et de ses « libérateurs ». Ils sortirent du couvent avec prudence et n’eurent que quelques pas à faire pour parvenir jusqu’à la voiture.
Fabian en était descendu et se trouvait près des chevaux ; il échangeait quelques mots avec le conducteur quand il aperçut Alban. Il s’avança vers lui avec un sourire confiant. L’air consterné de l’arrivant figea ce sourire sur ses lèvres.
— Quoi, que se passe-t-il donc ? demanda-t-il avec inquiétude.
Sans répondre, Alban, en s’excusant, l’entraîna jusqu’à un mur en saillie qui les déroba aux regards.
— Seigneur, dit-il alors avec un air lugubre, le malheur est tombé sur nous…
— Comment cela « tombé sur nous », et quel malheur ? demanda Fabian, de plus en plus alarmé.
L’adjoint de Magne entreprit alors le récit de ce qui s’était passé dans le couvent – « au début tout semblait si facile » – avec des hésitations, de plus en plus fréquentes et longues, à mesure qu’il approchait du moment où il lui faudrait bien relater « la tragédie » et expliquer pourquoi rien n’avait été tenté pour sauver la « femme en bleu ».
Fabian, livide, commença à le presser de questions et à s’impatienter car les atermoiements du narrateur accroissaient ses alarmes. Quand ce dernier, d’une voix presque inaudible, en arriva à « l’effroyable surprise » qui les attendait dans la cellule qu’Agnès aurait dû occuper, Fabian, les traits crispés et les lèvres tremblantes, le saisit à la gorge, le secoua et lui lança en s’efforçant de ne pas crier :
— Ne me dis pas qu’il est tombé dans leurs mains ! Non ! pas cela ! Oh ! non… Cela n’est pas vrai, cela ne peut pas être vrai… n’est-ce pas… Non !…
Alban, à moitié étranglé, parvint à dire :
— Non ! ce n’est pas cela… Pas cela, hélas… pas cela…
Fabian s’arrêta net. Il fixa son vis-à-vis avec un regard fou dans son visage blafard comme si tout le sang s’en était retiré. Raidi dans la douleur, il sembla quêter autour de lui un impossible secours. Brusquement, il souffleta Alban et l’empoigna de nouveau au collet, en grondant :
— Tu mens, tu mens… mais tu mens, chien… Tu mens !
Puis il s’effondra en larmes et se prit la tête dans les mains,
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