Le secret de la femme en bleu
secoué par les sanglots. Alban tenta un réconfort :
— Mais rien n’est tout à fait perdu, seigneur. Là-bas, si nous pouvons y arriver, nous trouverons de quoi reconstituer nos forces et…
— Tais-toi ! Mais tais-toi donc, vermine !
Subitement calme, comme désemparé, il dit doucement, d’une voix étrange :
— Non, non, non, ce n’est pas possible…
Alban, par petites touches, prudemment, décrivit alors la scène à laquelle il avait assisté, la mort de Raynal, « un suicide romain ».
— La bague… le chaton… le poison… tu ne peux avoir inventé cela, balbutia Fabian dont l’esprit était à ce point égaré qu’il ne pensa pas à demander à Alban par quel miracle il avait pu, lui, se tirer d’affaire, ni ce qu’il était advenu de Magne.
Son interlocuteur n’avait qu’un souci en tête : partir, fuir, car chaque instant qui passait décuplait les dangers. Encore fallait-il que tous les survivants le fissent ensemble de manière à opposer à d’éventuels poursuivants une résistance qui aurait quelques chances de l’emporter. Sans avoir à forcer le trait, il décrivit la situation sous les plus sombres couleurs, pressa Fabian de prendre, sans tarder, les décisions qui en découlaient, de donner des ordres en conséquence. Celui-ci semblait ailleurs, accablé par une fatalité inexorable. Il était prostré, la tête basse et, de temps à autre, montrait un visage baigné de larmes.
Alban tenta par tous les moyens de ranimer sa volonté, usa tour à tour de la persuasion et de l’apostrophe, alla jusqu’à le fouailler de reproches, à la limite de l’outrage. Son insistance finit par rappeler Fabian à ses responsabilités ; il se redressa péniblement, essuya son visage et se dirigea vers la voiture dans laquelle patientaient ses hommes qui commençaient à s’inquiéter. D’une voix qu’il s’efforça de raffermir, il ordonna qu’on se prépare à quitter la place : il ne fallait plus compter sur un renfort. Les deux cavaliers d’escorte prirent position de chaque côté du fourgon sur lequel Alban et Fabian étaient montés.
Ce piètre convoi était sur le point de s’ébranler quand se fit entendre un grondement, sourd d’abord, qui, rapidement, s’amplifia. Des cinq voies qui aboutissaient au carrefour situé devant l’entrée de service du couvent débouchèrent au galop une quinzaine de gardes impériaux emmenés par Hermant et Doremus. Les deux cavaliers qui avaient esquissé une défense furent immédiatement abattus ainsi que le conducteur du véhicule qui avait lancé à ses chevaux, par réflexe, un « Hue donc ! » désespéré. Quant à tous ceux qui se trouvaient dans le fourgon, ils furent cueillis un par un sans pouvoir résister. Fabian ne s’était même pas débattu. Accablé, sans force, il paraissait presque soulagé.
Doremus cependant s’était approché de lui, accompagné par un colosse au regard dur dans un visage couvert de cicatrices.
— Je ne suppose pas, lui dit l’assistant des missi, que c’est sur ce chariot tiré par des chevaux poussifs que vous comptiez conduire Agnès vers une retraite lointaine. Donc se trouvent nécessairement près d’ici la voiture rapide qui devait s’en charger ainsi que son escorte. Tu vas me dire sur-le-champ où elles se trouvent. Je n’ai pas de temps à perdre et je suis pas très patient… De toute façon, pour ce qui est d’enlever Agnès, à présent…
Fabian fit de la main un geste vague.
— L’homme que voici, reprit Doremus, est très habile à desserrer les dents. Il ferait avouer un mort. Alors je ne te conseille pas, vraiment pas, de te taire.
Comme son interlocuteur semblait toujours égaré, l’ancien rebelle l’agrippa par le bras.
— Écoute-moi bien ! Ou bien tu parles, ou bien il va se faire un plaisir de te découper en fines lanières, exercice dans lequel il excelle, et tu deviendras le plus éloquent des mortels ! Je n’aime pas du tout cela… Mais si tu nous y forces…
Le colosse avait sorti de sa gaine un coutelas effilé qu’il fit sauter d’une main à l’autre. Fabian parut se réveiller, il fixa Doremus, puis le bourreau, passa lentement sa main sur son front et dit dans un souffle :
— Le pont sur la Moselle, près de Saint-Bénigne…
Et il s’effondra sans connaissance.
Doremus glissa quelques mots à Hermant qui sauta sur son cheval et prit au galop, avec une douzaine de cavaliers, la voie longeant la rive droite de la Moselle vers le
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