Le Secret de l'enclos du Temple
son père, le garçon hésita à tirer et regarda sa victime plus attentivement. L'habit religieux le frappa et il lui demanda s'il était M. le coadjuteur. Comme Gondi lui répondit oui, le garçon cria :
— Vive le coadjuteur !
Aussitôt, le cri se propagea. En quelques instants, les frondeurs s'écartèrent et le tumulte cessa, tandis que des mains amies relevaient l'évêque, la tête ensanglantée.
Profitant de ce calme précaire, le maréchal de La Meilleraye battit en retraite vers le Palais-Royal avec ce qui lui restait de soldats, emmenant dans son sillage Fontrailles soutenu par Montrésor, et le page, porté par un soldat. Pour lui laisser le temps d'arriver à la place d'Armes, Gondi fit même quelques pas dans la direction opposée avec Gaston de Tilly comme unique protection.
La foule les suivit et personne ne pourchassa La Meilleraye. Fripiers, tisserands, drapiers et gantiers des halles, tous en corselet tenant martialement piques et mousquet, les entourèrent. Gondi les bénit, les flatta et les caressa, tout en les menaçant s'ils ne cessaient pas leur tumulte. Finalement, il parvint à les persuader que la reine libérerait Broussel – ce qui sauva la ville du pillage, car la nuit approchait et, dans l'obscurité, à coup sûr, toute la canaille de la cour des Miracles risquait de se joindre aux émeutiers.
Le peuple apaisé, Gondi revint lentement au Palais-Royal entouré de quelque trente ou quarante mille bourgeois et artisans en train de l'acclamer. À la barrière des sergents, il retrouva le maréchal de La Meilleraye qui l'embrassa jusqu'à l'étouffer avant de lui dire :
— Je suis un fou, je suis un brutal, j'ai failli perdre l'État, et vous l'avez sauvé ! Venez, parlons à la reine et mettons-la en garde contre ceux qui lui font croire que cette affaire n'est rien.
Ils rentrèrent dans le Palais-Royal. Dans la grande galerie, le silence se fit lorsqu'on les vit apparaître sans chapeau, Gondi ensanglanté, Fontrailles blessé, La Meilleraye et Gaston de Tilly, les habits déchirés. Tout le monde savait déjà que la compagnie de chevau-légers avait été décimée et que le palais se trouvait assiégé de milliers de Parisiens en furie sans doute sur le point de les massacrer. La plupart des femmes n'étaient plus là, sans doute cachées afin d'éviter les derniers outrages au cas où le peuple soit parvenu à forcer les grilles. La Meilleraye et Gondi entrèrent dans le cabinet royal, tandis que Gaston restait dans la galerie où plusieurs officiers lui portèrent à boire et lui demandèrent de raconter ce qui s'était passé. Il put les rassurer : l'insurrection se calmait, grâce au coadjuteur.
Ce qui se produisit ensuite dans le cabinet de la reine, ce fut Séguier qui le raconta à Gaston…
*
Quand La Meilleraye et Gondi entrèrent, la reine, revenue, parlait avec le cardinal, le duc d'Orléans et M. Guitaut. Séguier était seul et M. de La Rivière, à l'autre bout du cabinet, n'en menait pas large.
La Meilleraye désigna le coadjuteur de la main.
— Voilà celui, madame, à qui je dois la vie. Et à qui Votre Majesté doit le salut de sa garde, et peut-être celui du Palais-Royal.
La reine se mit à sourire, mais d'un rictus ambigu. Elle n'ouvrit pas la bouche, aussi Gondi prit-il la parole :
— Non, madame, il ne s'agit pas de moi, mais de Paris soumis et désarmé, qui se vient jeter aux pieds de Votre Majesté.
— Il est bien coupable et peu soumis, répartit la reine avec un visage soudain plein de feu. Si Paris a été aussi furieux que l'on me l'a voulu faire croire, comment se serait-il adouci en si peu de temps ?
Au ton de la reine, le maréchal s'irrita.
— Madame, si vous ne mettez aujourd'hui Broussel en liberté, il n'y aura pas, demain, pierre sur pierre à Paris !
Gondi voulut ouvrir la bouche afin d'appuyer ce que recommandait le maréchal, mais Anne d'Autriche l'en empêcha d'un geste en laissant tomber, avec un air de moquerie :
— Allez vous reposer, monsieur. Vous avez bien travaillé.
Elle le salua, lui faisant comprendre sans autre forme de gratitude que l'entretien était terminé. Gondi sortit, rouge de honte.
*
Hors du Palais-Royal, Paul de Gondi découvrit une foule innombrable l'attendant devant la place d'Armes. On prépara son carrosse mais il dut monter sur l'impériale et rendre compte au peuple de ce qu'il avait fait au Palais-Royal. Sur la libération de Broussel, il déclara que la reine s'y
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