Le Secret de l'enclos du Temple
était engagée et qu'il n'avait pu obtenir plus.
La traversée de la ville jusqu'au petit archevêché fut d'autant plus aisée que les gens ne voulaient pas sauter l'heure du souper maintenant que l'émeute s'achevait.
Arrivé chez lui, le coadjuteur se fit saigner, sa contusion au-dessous de l'oreille ayant fort augmenté. Quand il revint dans sa bibliothèque, où l'attendaient l'abbé Ménage avec un groupe de gentilshommes, Montrésor venait d'arriver du Palais-Royal.
— Comment va Fontrailles ? s'enquit aussitôt le coadjuteur. Je n'ai pu prendre de ses nouvelles avant de partir.
— Il a le bras brisé, monseigneur, mais un chirurgien le lui a remis. Comme la rue Saint-Thomas-du-Louvre était dégagée, il est parvenu à rentrer en carrosse chez M. de La Rochefoucauld. J'irai le voir tout à l'heure.
— Qu'a-t-on dit de moi, à la Cour, après mon départ ?
— Que vous avez fort hasardé votre crédit auprès du peuple en lui donnant des espérances de la liberté de Broussel, grimaça Montrésor.
— J'ai fait mon devoir, cela suffit, répliqua sèchement Gondi.
— Seulement, vous n'avez rien gagné dans cette expédition, monseigneur.
— Au contraire. Si j'étais demeuré chez moi alors que l'émeute grondait, la reine, dont je tiens ma dignité, aurait-elle été contente ?
— Elle ne l'est nullement, monsieur, reprit Montrésor, cette fois en haussant les épaules. Mme de Motteville m'a dit qu'on vous tenait responsable des désordres et que l'on se moquait d'une bravoure relevant de l'imposture.
— Je ne vous crois pas ! s'emporta le coadjuteur. La reine est incapable d'une telle malignité !
Un autre ami arriva à son tour. Il avait assisté au souper d'Anne d'Autriche et annonça au coadjuteur que les participants l'avaient tourné en ridicule, certains suggérant qu'il avait lui-même soulevé le peuple pour montrer à la reine combien lui seul pouvait l'apaiser.
— Deux heures entières, vous avez été exposé à la raillerie de l'abbé de La Rivière, à la fausse compassion du cardinal et aux éclats de rire de la reine, monseigneur.
D'autres gentilshommes arrivèrent encore, venant tous du Palais-Royal. Plusieurs avaient le visage défait et l'un d'eux ajouta :
— Vous êtes perdu, monseigneur, il faut fuir. Le maréchal de La Meilleraye m'a chargé de vous prévenir que le Diable possède le Palais-Royal et a distillé dans l'esprit de la Cour que c'est vous qui aviez excité la sédition. Pourtant le maréchal vous a défendu, a expliqué la vérité à la reine et au cardinal, mais l'un et l'autre se sont moqués en assurant que la nuit ferait évanouir cette fumée. M. de La Meilleraye vous conjure de penser à votre sûreté. La reine a annoncé que l'autorité du roi paraîtrait demain avec tout l'éclat imaginable, et que vous serez le premier sur lequel elle fera un grand exemple. La décision aurait même été prise de vous emprisonner dans le château de Quimper-Corentin. Le cardinal aurait aussi résolu d'envoyer demain le chancelier au palais de la Cité ordonner au Parlement de quitter Paris et de se retirer à Montargis.
— Il n'y a plus une âme dans les rues, monseigneur, renchérit Guy Joly. Tout est calme, et l'on pendra demain qui l'on voudra.
Montrésor, membre de la coterie de ces gens qui veulent toujours avoir tout deviné, s'écria qu'il l'avait prédit.
— Monseigneur, vous attendiez une faute de Mazarin et c'est vous qui l'avez commise ! Vous avez laissé passer votre chance !
Gondi le dévisagea un instant avant de murmurer :
— Je ne suis pas encore réduit à la pitié…
Il demanda à tous de le laisser un moment. Sur ce, il se retira dans sa chambre pour réfléchir.
*
Pendant ce temps, Montrésor partit prendre des nouvelles de son ami Fontrailles et ne revint que vers minuit. Le coadjuteur l'attendait, avec quelques gentilshommes et parlementaires parmi ses plus proches. L'inquiétude et la peur se lisaient sur les visages, sauf sur celui de Paul de Gondi, qui n'avait jamais été si ferme.
— Montrésor, lui dit-il en le voyant apparaître, toute la Cour a été témoin de la manière dont l'on m'a traité. C'est donc au peuple de défendre mon honneur, et comme on veut perdre le peuple, c'est à moi de le défendre de l'oppression.
Il considéra ses amis à tour de rôle avant de déclarer solennellement :
— Demain avant midi, je serai maître de Paris.
Quelques-uns crurent qu'il avait perdu
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