Le Secret de l'enclos du Temple
Gaston.
— Madame, l'émotion du peuple n'est que fumée, elle se dissipera… intervint l'abbé de La Rivière avec une révérence.
Personne ne l'écouta, car le lieutenant civil, M. d'Aubray, poussa la porte au même instant et avec une telle pâleur qu'il ressemblait à un comédien enfariné de la Comédie-Italienne. En tremblant et bredouillant, il raconta ce qui lui était arrivé depuis son logis jusqu'au Palais-Royal, et comment il avait failli se faire écharper à plusieurs reprises. Par contagion, sa frayeur se glissa dans l'imagination et le cœur de l'assistance. Tous parurent d'un coup métamorphosés et plusieurs avouèrent que l'affaire méritait de la réflexion.
MM. de Longueville, le chancelier, le maréchal de Villeroi et celui de La Meilleraye, ainsi que le coadjuteur assurèrent qu'il fallait rendre Broussel. La Meilleraye ajouta qu'il y avait cent mille Parisiens dans les rues quand les troupes du palais ne dépassaient pas deux mille hommes.
À son tour le cardinal intervint. Après quelques galimatias, il conclut préférable d'attendre jusqu'au lendemain. Dans l'immédiat, il proposa de faire connaître au peuple que la reine accorderait la liberté de Broussel si chacun rentrait chez soi. Il ajouta, en forçant sur son accent italien, que personne ne pouvait plus efficacement porter cette parole que M. le coadjuteur, tant aimé des Parisiens.
Paul de Gondi ne s'attendait pas à cette proposition et resta un instant sans voix, tandis que le maréchal de La Meilleraye tombait dans le piège avec fougue. Il assura ainsi aussitôt à la reine qu'il sortirait avec M. le coadjuteur et qu'ensemble, ils accompliraient des merveilles.
— Je n'en doute point, lui rétorqua Gondi, avec un sourire contraint. Mais il serait mieux encore, s'il plaisait à la reine, de nous délivrer une lettre dans laquelle elle s'engagerait sur la liberté des prisonniers. Car je n'ai pas assez de crédit parmi le peuple pour qu'il me croie sur ma simple éloquence.
Le maréchal haussa les épaules en signe de dénégation.
— La parole de la reine vaut mieux que tous les écrits ! fit-il.
Tout le monde sourit et Gaston remarqua que certains se moquaient ouvertement de ce pauvre coadjuteur contraint de jouer une mauvaise comédie.
Gondi voulut répliquer, mais n'en eut pas le temps, car la reine quitta brusquement la pièce pour se retirer dans sa chambre mitoyenne. Gaston assista alors à une scène inouïe : Monsieur fit preuve de sa lâcheté habituelle en poussant des deux mains le coadjuteur vers la porte.
— Allez rendre le repos à l'État, monsieur de Gondi, dit-il.
Le maréchal entraîna lui aussi le coadjuteur en lui déclarant :
— Il n'y a que vous qui puissiez remédier au mal !
Paul de Gondi, blanc comme un linge, salua l'assistance, puis dans un geste solennel, donna sa bénédiction et quitta les lieux, suivi du maréchal de La Meilleraye.
— Monsieur le chancelier, dit Gaston à Séguier à voix basse. Vous n'avez pas besoin de moi ici. M. de Gondi a toujours été mon ami et va avoir besoin d'aide. Laissez-moi l'accompagner.
Séguier n'osa s'y opposer et Tilly rattrapa les deux hommes qu'il retrouva dans la galerie.
*
— Attendez-moi, messieurs, je vous accompagne, lança-t-il.
— Monsieur de Tilly ! s'étonna Gondi en le découvrant. Souhaitez-vous vous faire massacrer ?
— Si je peux vous être utile, j'en serai fier, monsieur de Gondi.
Le coadjuteur lui mit affectueusement la main sur l'épaule :
— Certainement, Gaston ! Certainement !
Ils furent rejoints par le marquis de Fontrailles et le comte de Montrésor, ainsi que par un petit page, qui portait habituellement l'arrière de la soutane de l'évêque afin qu'elle ne touche pas terre.
— Messieurs, leur expliqua le coadjuteur, toujours très pâle, je suis chargé par la reine de prêcher l'obéissance à la populace et de faire cesser le tumulte. Venez-vous avec moi ? À cinq, nous devrions y parvenir facilement car ils ne sont que cent mille !
— C'est folie ! s'effraya Montrésor en secouant négativement la tête.
— Rassurez-vous, ironisa Gondi, je dois seulement annoncer que la reine rendra Broussel si l'émeute cesse.
Fontrailles jeta à Gaston un regard mi-surpris mi-admiratif.
— Je ne ferai pas moins que M. de Tilly, articula-t-il lentement.
— Il n'y aurait guère d'honneur pour moi à rester à vous attendre, approuva Montrésor.
Gondi les considéra à
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