Le Secret de l'enclos du Temple
toujours lorsqu'il se battait.
Ce fut le procureur qui poussa la première estocade. Bussy coupa sa pointe d'un léger mouvement du poignet et recula d'un pas, sans écarter la ligne de son épée.
— Vous rompez ? ironisa Gaston, plus tendu qu'il ne l'aurait voulu.
— Rompre n'est pas fuir, monsieur ! déclara Bussy en ripostant brusquement par une prise de fer.
L'assistance entière, surprise, poussa un cri.
L'attaque fut si vive que Tilly eut du mal à la parer et se trouva brusquement en défensive. Il riposta pourtant avec habileté par un coup droit qui atteignit son adversaire en haut de la poitrine.
— Une touche pour M. de Tilly, annonça le juge d'armes.
L'assaut se poursuivit par une série d'engagements, de ripostes et de parades composées. Après plusieurs croisements de fer, Bussy fit brusquement une volte, gagna le fort de l'épée de Tilly, le dégagea, et par une estocade directe lui toucha le bras. C'était un coup très habile.
— Touche valable !
Immédiatement, le combat reprit. Dans un calme effroyable, Bussy poussa immédiatement en tierce avant d'enchaîner en quarte pour frapper avec force la poitrine de son adversaire.
— Touche valable, pour M. de Bussy.
À la reprise, Gaston affichait la mine rageuse du sanglier blessé à mort. Le comte le salua, puis commença par un rapide moulinet circulaire avant d'avancer sur son adversaire. Gaston para de la pointe et détourna l'épée adverse dans un sourire suffisant. Mais il s'agissait d'une feinte et Bussy porta sa lame en dessous, touchant Gaston au ventre.
L'assistance applaudit devant ce coup magnifique, mortel dans un vrai duel.
— Touche valable ! La victoire pour M. de Bussy, annonça avec admiration le duc de La Rochefoucauld.
— Je reconnais ma défaite, fit Gaston d'une voix blanche, tout en s'inclinant très bas afin de masquer la rougeur de sa honte. Je vous prie donc d'accepter mes excuses, monsieur le comte.
— Je les accepte, monsieur, fit Bussy cérémonieusement et sans aucune ironie.
Les deux hommes ôtèrent leur plastron et se ceignirent à nouveau de leur épée.
— M'accorderez-vous encore quelques instants, monsieur de Tilly ? demanda alors Bussy. J'ai une histoire à vous narrer.
*
Malgré sa contrariété, Gaston hocha du chef et le comte le prit amicalement par l'épaule pour le conduire à l'écart, tandis que l'assistance commentait le combat et que le maître d'armes donnait des explications sur les bottes utilisées par Rabutin.
— En 1641, monsieur, commença Bussy, je reçus à mon régiment une lettre de cachet de M. Sullet des Noyers et un ordre de me rendre à la Cour. Sitôt arrivé, j'allai trouver le secrétaire d'État à la Guerre pour en connaître les raisons. Il me signala que des plaintes avaient été faites au roi, contre mon régiment, qui aurait pillé quelques maisons. Mais à la date où ces désordres avaient été commis, je n'étais pas en service. Je n'avais d'ailleurs jamais entendu parler de ces plaintes, sinon, j'aurais agi avec fermeté.
« M. Sullet des Noyers reconnut ce fait et me proposa d'aller en parler à M. Bouteiller, alors surintendant des Finances. Celui-ci me déclara que les plaintes venaient d'un adjudicataire des gabelles prétendant que mes troupes avaient commis de gros dégâts chez ses agents. Je lui répondis qu'il fallait s'en prendre à celui qui commandait mon régiment à ce moment-là, et il en convint. Pourtant, le lendemain, M. Testu, le chevalier du guet, vint m'arrêter et me conduisit à la Bastille.
« Huit jours plus tard, l'avocat général, M. Talon, m'interrogea. Par mes réponses, il trouva qu'il n'y avait pas lieu de me condamner à quoi que ce soit. Pourtant, je ne le revis plus et on me laissa enfermé. J'appris peu après que mon véritable crime était autre : M. Sullet des Noyers me faisait pâtir de la haine qu'il nourrissait contre mon père.
« Je restai ainsi deux mois à la Bastille. Mon père était malade mais, sitôt guéri, il alla demander ma liberté au Cardinal. Celui-ci la lui promit de la meilleure grâce du monde. Pourtant un mois après, cette liberté n'étant point venue, mon père retourna rappeler au cardinal sa promesse. Cette fois-ci, le ministre fut plus évasif et mon père se retira sans rien obtenir.
« M. Sullet des Noyers avait monté une nouvelle cabale contre moi. Trois semaines après, ma mère alla supplier le cardinal de m'accorder ma liberté,
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