Le Secret de l'enclos du Temple
serait envahi de maquerelles proposant de fraîches catins contre quelques sols. Pour l'heure, s'y trouvaient juste des enfants affamés en sabots qui se réchauffaient en restant à l'abri de la bise et demandaient la charité en tentant parfois de dévaliser le passant miséricordieux.
Gaston frappa au heurtoir de la maison de Guillaume, la dernière d'un cul-de-sac. Il savait que le bourreau vivait avec sa fille Mathurine, une jeune femme plutôt jolie, qui l'aidait à pendre. Mathurine s'accrochait aux pieds des pendus pour hâter leur strangulation, tout en faisant des grimaces afin de se faire applaudir de l'assistance.
Ce fut elle qui lui ouvrit.
Gaston s'en étonna, sachant que Guillaume entretenait de nombreux domestiques grâce à sa fortune. Ne recevait-il pas dix-huit mille livres de gages ? Sans compter les pendaisons payées chacune vingt-cinq livres ! Et les pendaisons étaient journalières dans Paris !
— Monsieur de Tilly, quelle surprise ? s'étonna-t-elle en l'invitant à entrer.
— Bonjour, mademoiselle, je voulais voir votre père.
Il baissa les yeux vers ses chaussures crottées.
— Je vais les laisser ici, proposa-t-il, confus.
— Je vous conduis à sa chambre, dit-elle quand il se fut exécuté. Notre servante est sortie et mon oncle parti avec nos valets acheter des cordes. Nous avons plusieurs pendaisons ce soir au Pont-Neuf et n'en avions pas suffisamment.
L'antichambre où ils se trouvaient accueillait un vaisselier où était exposée de la vaisselle d'étain, et un grand coffre en merisier ciselé. Une seule chandelle, dans une lanterne de fer, éclairait la petite salle sans fenêtre. Mathurine portait une robe d'intérieur avec un tablier qui ne dissimulait rien de ses généreux appas. Mais même s'il n'avait pas été nouvellement marié, Gaston n'aurait eu aucune envie de conter fleurette à une femme qui savait si bien trancher les chairs et donner la mort. C'était d'ailleurs sans doute la raison pour laquelle la fille de l'exécuteur de la haute justice n'avait toujours pas trouvé à se marier.
Elle gratta à une des portes donnant dans l'antichambre et le fit entrer sans attendre.
*
Maître Guillaume, debout devant une table, aiguisait sur une pierre le tranchoir qu'il utilisait pour couper les poignets des voleurs et des faussaires. Sa chambre, plutôt grande, donnait sur un jardin et le meuble principal en était un lit à colonnes à la custode en velours cramoisi.
— Monsieur le procureur, fit-il, que me vaut votre visite ? Prenez donc une chaise !
Son visage rude, taillé à la serpe, ne cachait ni sa surprise ni son plaisir de recevoir un procureur de l'Hôtel du roi. Il lui montra une chaise joliment tapissée, la plus proche de la cheminée.
Gaston s'assit tandis que Mathurine sortait. Tout en tendant ses doigts vers le feu, M. de Tilly raconta en quelques mots la condamnation de la pauvre sotte qui croyait au Diable et la promesse qu'il lui avait faite de ne pas souffrir.
— Vous pouvez être rassuré, monsieur, je m'occuperai bien d'elle. Ce n'est pas moi qui donne le fouet au For-l'Évêque, mais l'exécuteur de l'official ou alors un de mes aides, car il s'agit d'une trop petite besogne, mais dès que j'aurai reçu l'arrêt du Châtelet, je les préviendrai de ne pas la blesser. Faire claquer le fouet sans donner de douleur est la première chose qu'un bourreau apprend, tant il est aisé de faire souffrir mais plus difficile de faire semblant ! Comme vous le lui avez promis, l'exécuteur lui passera une chemise graissée et ne la dénudera pas, bien que ce soit l'habitude. Les gardiens seront déçus du manque de spectacle, mais tant pis pour eux !
Tranquillisé, Gaston prit congé. En sortant, Mathurine l'attendait avec son plus beau sourire. Et lui montra ses souliers parfaitement nettoyés. Gaston la remercia, songeant qu'il avait mal jugé la fille du bourreau, et qu'elle avait sans doute plus d'attraits qu'il ne l'avait pensé.
*
Aux Augustins déchaussés 32 , sexte sonnait. Gaston, brusquement affamé, hésita à se rendre dans quelque hostellerie du quartier, puis il songea qu'il pourrait aller voir rue des Blancs-Manteaux si son ami Louis n'était pas arrivé. S'il l'était, ils iraient dîner à la Grande Nonnain qui Ferre l'Oie , et se raconter mutuellement tout ce qui leur était arrivé depuis ces semaines où ils ne s'étaient vus.
Louis Fronsac lui avait écrit une semaine plus tôt pour lui dire qu'il
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