Le Secret de l'enclos du Temple
passerait les fêtes de Noël à Paris, Julie et lui étant invités à une réception donnée vendredi par la marquise de Rambouillet, tante de Julie.
La marquise ne recevait plus beaucoup dans la chambre bleue. Elle avait toujours été très pieuse, mais depuis quelques mois, elle était tombée dans une complète dévotion et passait la plus grande partie de son temps à rédiger des prières. Seuls quelques proches, comme Vincent Voiture ou Antoine Arnaud, venaient encore la voir, et le badinage, les jeux ou les plaisanteries n'avaient plus court chez elle. Pourtant, à l'occasion de la naissance du dernier-né de sa fille, Julie d'Angennes 33 , elle avait décidé d'accueillir tous ses amis à l'hôtel de Rambouillet. Gaston n'était pas invité, Julie d'Angennes le détestant depuis l'affaire du marquis d'Effiat 34 .
M. de Tilly revint donc à l'académie d'escrime, reprit son cheval et se dirigea vers la rue des Blancs-Manteaux. À cette heure, dans les rues particulièrement encombrées, il dut avancer avec précaution, à la fois pour ne pas se faire éclabousser par la puante boue noirâtre qui s'étalait sur les pavés, pour ne pas heurter les enseignes trop basses, et pour éviter de bousculer les passants ou les marchands ambulants.
Il arriva finalement pas trop crotté à l'impasse où se situait la maison de Louis. L'écurie ouverte, il aperçut à l'intérieur le carrosse au toit de cuir et aux banquettes de basane fauve de son ami. Germain Gaultier, le domestique gardien de la maison, nettoyait d'ailleurs le véhicule avec application.
— Bonjour, Germain, dit Gaston en descendant de sa monture pour l'attacher à un anneau. Je vois que M. le marquis est là.
— Oui, monsieur, depuis moins d'une heure. Nous l'attendions plus tard et ma sœur était malheureusement déjà partie se confesser à la Merci, ce qui m'a beaucoup contrarié, car ils l'attendent pour qu'elle prépare le dîner.
La maison de Louis Fronsac avait deux étages, et bien que l'entrée soit située dans une impasse, elle possédait deux fenêtres sur la rue. Louis, après l'avoir habitée longtemps comme locataire, l'avait achetée quelques années plus tôt. C'était désormais son pied-à-terre quand il quittait sa seigneurie de Mercy pour passer quelques jours à Paris. En son absence, un couple de frère et sœur, Germain et Marie Gaultier, s'occupait donc du logis et y séjournait.
Gaston passa devant l'office jouxtant l'écurie et s'engagea dans l'escalier. Au premier étage où se situait la salle principale de la maison qui servait de cuisine et de salle à manger, il trouva Bauer devant la cheminée, tournant la broche de la rôtissoire dans laquelle étaient embrochés deux chapons, ceci tout en trempant de grosses tranches de pain dans un coquemar où s'écoulait le jus de cuisson.
Friedrich Bauer, ancien mercenaire bavarois, avait été l'aide de camp du marquis de Pisany, le fils de la marquise de Rambouillet. À la mort de celui-ci, durant la bataille de Nordlinghen, Bauer était entré au service de Louis Fronsac comme garde du corps. C'était un homme remarquable. Barbu et chevelu, il nouait son épaisse pilosité frisée en longues tresses. D'une taille peu commune – sept pieds –, il se déplaçait uniquement avec un ferraillage d'épées et de dagues qu'il maniait avec une rare dextérité. En voyage, il accrochait dans son dos l'espadon d'une toise de son grand-père lansquenet. L'arme était, pour l'heure, appuyée contre la cheminée. En cas de bataille éventuelle, il emportait aussi un canon à feu à rouet, arme prodigieuse tirant de la grenaille et formée de quatre tubes d'acier pivotant à tour de rôle sur un fût de bois de la taille d'un petit tronc d'arbre.
Mais bien qu'homme de guerre, le Bavarois avait son élégance. Comme Gaston de Tilly, il raffolait des belles tenues et des habits bariolés. Ce jour-là, il arborait des bottes écarlates à entonnoir avec des dentelles, des chausses vermillon et une casaque en buffle couleur lie-de-vin passementée de rubans laissant apercevoir, par des guipures, une chemise jaune vif. Un manteau vert pomme était par ailleurs posé sur un coffre.
Gaston réprima une grimace de convoitise devant cet habillement. Pour la visite officielle qu'il avait faite au grand prieur, il s'était vêtu d'un strict pourpoint noir avec un col carré, comme la règle l'imposait aux magistrats. Sa seule fantaisie ? Ses chausses violettes.
— Monsieur de
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