Le Secret de l'enclos du Temple
sujet des impôts duraient depuis des mois. Si M. Molé proposait l'abandon de la taxe sur la censive, la Cour s'y opposerait. Que ferait le Parlement ? S'il cédait, comme par le passé, le peuple reviendrait s'en prendre aux conseillers. Maintenant que les violences avaient commencé, il serait difficile de les arrêter, d'autant que des officiers du roi faisaient partie des plus virulents opposants à la politique de Mazarin. Ce procureur au Châtelet, le nommé Cadeau, en était le vivant exemple. De surcroît, les contestataires n'avaient pas tort puisque leurs gages n'étaient plus payés depuis des mois alors même qu'on leur réclamait de nouveaux impôts.
Gaston sentait qu'une nouvelle épreuve s'annonçait pour le pays, comme après la mort de Louis XIII. À cette époque, Mazarin avait fait preuve d'un talent hors du commun pour sauver la monarchie, mais il n'était pas haï comme maintenant. Quant à la reine, elle n'avait plus guère de soutiens maintenant qu'elle ne disposait plus de faveurs à distribuer.
Il en était là dans ses réflexions quand une autre porte s'ouvrit et que le secrétaire l'invita à entrer.
Il découvrit un grand cabinet joliment meublé d'une table de travail et d'une bibliothèque chargée de livres reliés en maroquin qui sentaient bon la cire. Un feu crépitait dans la cheminée et Gaston s'en approcha instinctivement. Ses doigts étaient gourds de froid. M. d'Alibert et M. de Choisy, eux, conversaient en l'attendant, debout devant l'âtre.
— Monsieur de Tilly, dit M. de Choisy, assez sèchement. Excusez-moi de vous avoir fait attendre, mais à dire vrai nous pensions que vous arriveriez plus tôt. J'ai dû faire chercher M. d'Alibert qui était avec des visiteurs.
Le reproche de son retard, même pas voilé, piqua Gaston au vif.
— Excusez-moi, monsieur, mais j'ai été retardé par un léger incident. La populace a envahi le Palais de justice pour pendre M. de Thoré. Je me suis permis d'intervenir afin de lui éviter ce fâcheux inconvénient, ironisa-t-il.
— Que dites-vous ? s'exclama le chancelier du duc.
Gaston reprit, d'un ton plus sérieux :
— Je suis parti dès que j'ai reçu votre pli, monsieur. Mais ma voiture a été arrêtée devant le Palais, il y avait là quelques centaines de bourgeois qui vociféraient contre M. d'Émery. Ils ont pénétré dans la cour de Mai, puis dans les salles. Je les ai suivis, et j'ai eu la chance de pouvoir intervenir au moment où ils allaient pendre M. de Thoré. Après que j'ai secoué l'un des meneurs, M. Molé est parvenu à rétablir l'ordre avec le renfort d'une compagnie de gardes-françaises. J'ai quitté le Palais aussitôt après, mais tout ceci m'a fait perdre deux bonnes heures.
— J'envoie immédiatement des gens se renseigner, décida Choisy, d'un ton confus. Alibert, faites doubler la garde ; que personne n'entre ici s'il n'est pas connu. Prévenez mon secrétaire qu'il m'avertisse dès que M. le duc reviendra du Palais-Royal.
Alibert s'exécuta et sortit.
— Ces événements sont évidemment plus importants que la raison pour laquelle nous vous avions demandé de venir, poursuivit-il, d'une voix toujours hachée par l'émotion. Néanmoins, puisque vous êtes là, voici la lettre qui est arrivée ce matin, remise par un gamin aux factionnaires de garde. Elle m'était destinée.
Gaston prit le pli que le chancelier tenait. C'était un mauvais papier au grain grossier sur lequel il n'y avait que deux lignes, d'une assez belle écriture :
Si M. d'Alibert ou M. de Choisy font poursuite pour la capture des neuf cents pistoles 56 faite le matin de Noël, nous sommes dix qui donnerons cent coups à celui-là 57 .
La lettre avait été pliée, mais non cachetée. Il était écrit de l'autre côté : Pour M. de Choisy .
— Celui ou ceux qui ont envoyé ce papier sont décidément bien informés de ce qui se passe ici, remarqua Gaston avec dépit. Mais cette lettre les perdra car elle prouve qu'ils ne sont pas étrangers à l'hôtel d'Orléans.
— Ce sont des effrontés ! gronda M. de Choisy avec rage. Je veillerai personnellement à leur châtiment !
— Je suppose que vous ne reconnaissez pas l'écriture ? s'enquit Gaston.
— Non ! En tout cas, elle ne ressemble point à celle d'un de nos secrétaires. Mais vous pourrez interroger M. de Goulas à ce sujet, il connaît toutes les écritures.
— Je vais le faire, approuva Tilly. Puis-je garder ce
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