Le Secret de l'enclos du Temple
vous n'êtes pas plus sage, c'est moi qui ferais dresser des potences pour vous faire pendre !
— Les potences serviront pour les mauvais juges ! cria un des meneurs.
Celui-ci n'était pas loin de Gaston, qui le reconnut. Il s'agissait d'un procureur au Châtelet nommé Cadeau. Gaston s'approcha de lui, l'attrapa par le col et le bouscula jusqu'au premier président où il le jeta par terre. Le silence se fit immédiatement devant l'audace de ce rouquin qui sortait d'on ne sait où.
Tilly sortit alors sa rapière et déclara, en reculant d'un pas afin qu'on ne puisse le surprendre par-derrière :
— Je suis le procureur de l'Hôtel du roi ! Qui manquera à nouveau de respect à M. le premier président goûtera de mon épée.
La foule paraissant hésiter, il en profita pour faire signe à quelques gardes du corps qui, cachés derrière une colonne, hésitaient à intervenir.
Déjà, M. de Thoré aidait son valet ensanglanté à se relever. Quelques magistrats courageux s'approchèrent pour faire une barrière autour de Gaston et de M. Molé. Pour la première fois depuis le début de l'émeute, la populace hésita. Le premier président reprit alors la parole :
— Qui est votre représentant ? demanda-t-il.
— Moi ! répondit un bourgeois d'une quarantaine d'années, en robe de marchand.
D'après son chapeau, Gaston jugea qu'il devait être drapier.
— Que demandez-vous ?
— Des partisans prétendent nous lever une année de revenu sous prétexte que nos maisons sont dans la censive du roi ! C'est vous qui avez enregistré l'édit de ce fripon de Particelli ! À vous de le supprimer !
Molé se souvenait parfaitement à quel point l'édit avait été discuté, lui-même y étant opposé. Ces gens n'avaient pas tort ; aussi resta-t-il un instant silencieux avant de déclarer :
— Je vous promets de revoir cet édit. Maintenant, rentrez chez vous… Sinon, je ferai intervenir les soldats que je vois venir…
En effet, dirigés par un lieutenant, une centaine de gardes-françaises en habit bleu prenaient position. Sans doute arrivaient-ils du Louvre, prévenus par les gardes de la barrière des sergents.
L'émeute est terminée, jugea Gaston, en voyant la foule refluer d'un coup. Le chevalier du guet serait là d'un instant à l'autre avec des archers et personne n'avait envie d'être arrêté et pendu pour avoir porté la main sur des magistrats.
Molé fit alors un pas vers lui :
— Monsieur de Tilly ! C'est la deuxième fois que vous me portez secours 55 .
— Je n'ai fait que mon devoir, monsieur. Mais, excusez-moi de ne pouvoir rester, je suis attendu au palais d'Orléans. Je pense que cette émeute n'aura été qu'un orage…
Le premier président lui tendit une main amicale que Tilly serra sincèrement. Après quoi, il retourna à son carrosse, non sans difficulté ni appréhension. Il y avait encore beaucoup de monde dans la cour, car les gardes-françaises étaient dans la grande galerie et n'avaient pas tenté de faire partir la populace trop nombreuse. Des bourgeois reconnurent celui qui avait bousculé un des leurs, des menaces et des interjections fusèrent, mais quelques regards féroces de Gaston les firent cesser.
*
Tilly avait perdu beaucoup de temps. Quand il arriva au palais du Luxembourg, le laquais et le chevau-léger d'Orléans qui l'attendaient dans l'antichambre parurent soulagés. À sa surprise, ils ne le conduisirent point chez M. d'Alibert, mais dans une partie du bâtiment qu'il ne connaissait pas. Le laquais s'arrêta devant une porte à laquelle il gratta en lui glissant qu'il allait être reçu par M. de Choisy. Ce fut un secrétaire qui ouvrit ; il demanda à Gaston de patienter dans un petit cabinet. Ses accompagnateurs le laissèrent, ainsi que le secrétaire qui disparut par une porte découpée dans la boiserie lambrissée.
La pièce était glaciale, n'ayant pas de cheminée, et Gaston fit quelques pas pour se réchauffer. En même temps, il réfléchissait à l'émeute à laquelle il avait assisté. S'il n'était pas intervenu, le fils de M. d'Émery aurait certainement subi un mauvais sort, peut-être même aurait-il été pendu ainsi que le président Molé et d'autres magistrats. Le Palais de justice allait sans doute être désormais rempli d'archers, à moins que les conseillers ne préfèrent rester chez eux !
Mais les troubles cesseraient-ils pour autant ? Il en doutait. Les querelles entre la Cour et le Palais au
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