Le Secret de l'enclos du Temple
quand vous le souhaitez.
À ces mots, elle demeura stupéfaite, tout comme sa sœur. Une famille pouvait vivre avec trois cents livres par an. Avec deux mille livres, elles pourraient se vêtir, se loger et se chauffer durant plusieurs années. Elles auraient ainsi le moyen de trouver du travail, ou d'entrer au service de quelque famille de qualité.
Ce fut la sœur qui s'avança vers Gaston. Elle pleurait à son tour, et se jeta à genoux, imitée vite par Madeleine.
— Si vous avez besoin de moi, dit-il, ému, je loge rue de la Verrerie. On me connaît. N'oubliez pas d'aller reprendre tous vos biens chez votre mari.
Il les salua et donna un baiser à la fillette avant de partir.
*
Le 21 mars, le protestant Guy Patin, recteur de la faculté de médecine et esprit d'une rare justesse, malgré son penchant à la raillerie et son immense incompétence en médecine, envoya à un de ses amis de Lyon une longue lettre écrite au cours de la quinzaine précédente. Au début de cette missive, il annonçait l'arrestation des deux voleurs :
… Le massacre qui fut fait la veille de Noël à l'hôtel d'Orléans durant la messe de minuit, avec un vol de 10 000 livres est découvert.
C'étaient deux valets de chambre, tous deux chirurgiens, de leur premier métier, dont l'un, nommé Du Fresne 91 , était valet de chambre et maître d'hôtel de M. Goulas, secrétaire de M. le duc d'Orléans ; l'autre est un nommé Campi, valet de chambre et chirurgien de M. le comte de Franquetot, qui a charge chez la reine.
L'affaire a été découverte par le babil très impertinent d'une misérable femme, qui est celle de Campi ; mais Dieu l'a permis ainsi afin que ces grands crimes soient punis : comme Campi s'enfuit en Flandre, il a été pris en une petite ville de Picardie, nommé Ham, et, dès qu'il s'est vu si bien pris, il a déjà avoué quelque chose.
Il est aujourd'hui arrivé, et a été mis dans le Grand-Châtelet ; l'autre y est aussi dans un cachot où on ne le gardera pas longtemps, vu que tous deux ne peuvent nier le fait.
Du Fresne est extrêmement coupable, vu qu'il était domestique de M. le duc d'Orléans, et que ce pauvre Paris, qu'ils ont massacré, était son ami intime : joint qu'il avait un bon maître, trente mille écus de bien, et 4 000 livres de rente en offices, que son maître lui avait fait avoir chez M. le duc D'Orléans…
Un peu plus loin dans la même lettre, après avoir une nouvelle fois réfuté toutes les faussetés que voulaient faire croire les charlatans sur la circulation du sang (qui comme chacun le sait n'existait pas), et avoir une fois encore dit tout le bien qu'il pensait de la saignée, Guy Patin narra l'avancement du procès des deux criminels :
… Du Fresne est aussi accusé de plusieurs autres crimes, et entre autres, d'avoir fait divers vols sur les grands chemins, en habit déguisé, avec une fausse barbe et autres outils qui ont été trouvés chez lui. Lui et Campi ont fait le massacre seuls, et la femme de Campi, laquelle ne savait encore rien, pour lors du massacre, leur aida à faire le vol, à partager les pistoles, et à serrer tout ce qui fut volé…
… Le Châtelet avait envie de juger les voleurs prévôtalement et les faire exécuter aussitôt, mais il a été ordonné que la cour en connaîtrait, de sorte qu'au lieu que dès samedi dernier ils eussent été exécutés, ils ne le peuvent être que jeudi ou vendredi prochain.
Dans cette même lettre, décidément très longue, car écrite sur plusieurs jours, Guy Patin annonçait que la cour, c'est-à-dire le gouvernement du cardinal Mazarin, avait finalement décidé de prolonger la paulette pour la plupart des officiers, sauf pour ceux des cours souveraines et pour les maîtres des requêtes :
La paulette est ici publiée pour les officiers de finance et pour les présidiaux, et non pour les cours souveraines, desquelles il n'est point parlé du tout : on croit qu'il y aura une déclaration du roi toute expresse pour eux : néanmoins, les maîtres des requêtes en sont nommément et particulièrement exceptés…
L'épreuve de force continuait donc entre le parlement et le pouvoir.
C'est dans la lettre suivante, datée du 24 mars, que Guy Patin annonça la condamnation :
… Les prisonniers du Grand-Châtelet, massacreurs et voleurs, ont été condamnés, il n'y a que deux heures, à être rompus tous vifs, et la femme Campi à être pendue ; ils en appellent au
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