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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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Marie Torne, je…
    — J’t’en ficherai des maritornes ! Décidément le vieux décline chaque jour davantage. Si ça continue il sera bon pour l’asile. Y a pas de maritorne, ici, y a que des gens bien élevés qui savent se conduire.
    — Vous avez raison, madame. Vous pourriez peut-être me renseigner. Je rédige une enquête sur l’enlèvement des ordures ménagères, ça m’arrangerait de rencontrer le chiffonnier qui vide vos poubelles, j’ai interrogé le concierge mais…
    — Oh, le pipelet ! Moins il en fait, plus il fatigue. Je peux vous indiquer m’sieu Léonard, il vient tous les matins, un méticuleux qui a le sens de la propreté. Il loge cité Doré. Si vous permettez, j’ai mon gras-double à cuire.
    Quand Joseph atterrit au rez-de-chaussée, le pipelet tançait les portefaix avec tant d’acrimonie qu’il put prendre la poudre d’escampette sans encombre. Il disposait de trois quarts d’heure pour rallier la salle des ventes.
     
    Étendue au milieu des draps chiffonnés, Eudoxie Allard contemplait le corps mince et nerveux de Kenji. Il s’habillait avec dextérité, sans manifester la moindre émotion.
    — Qu’allez-vous faire, aujourd’hui ? demanda-t-elle.
    — Je suis attendu à la salle des ventes. Je ne déjeunerai pas, vous m’avez rassasié.
    Elle rit, mais elle était terriblement désappointée. Elle savait ne pas lui être indifférente, il ne l’avait jamais traitée en courtisane, il lui prodiguait respect et attention, la comblait de cadeaux. Mais lorsqu’ils avaient atteint tous deux l’apogée du plaisir, il s’éloignait d’elle, renfermé et lointain.
    Elle s’appuya sur un coude sans recouvrir sa nudité.
    — Restez, murmura-t-elle.
    Kenji lui inspirait un désir intense, et quand il était parti son souvenir persistait, assez vivace pour rendre falots tous les autres hommes.
    Il soupira légèrement, fixant le papier à fleurs, comme s’il poursuivait une idée au fond de lui-même.
    — Eudoxie, je vous l’ai déjà expliqué, j’ai vécu seul la majeure partie de mon existence, c’est ma façon d’être, et à mon âge, il m’est impossible de changer.
    Il lui parlait avec gentillesse afin de lui faire saisir ce trait de son caractère dont elle n’était pas responsable et qui ne devait ni la blesser ni la décevoir.
    — Vos compatriotes sont-ils aussi insensibles que vous ?
    — Je ne suis pas insensible. Quant aux Japonais, j’ignore ce qu’ils ressentent. J’ai quitté mon pays depuis si longtemps !
    — Pourtant vous vous soumettez à ses tabous. Vous détestez le chiffre quatre et vous m’avez obligée à déplacer mon lit parce qu’il était orienté au nord.
    — On ne met pas de porte à la bouche d’une femme.
    — Oh toi et tes dictons inventés ! s’écria-t-elle en lui lançant un oreiller.
    Il l’esquiva en riant.
    — Celui-ci est authentique.
    Il l’attira à lui.
    — Sachez profiter du moment présent, ma chère. Taisons-nous. Nous n’avons aucun problème quand nous sommes silencieux.
    Elle s’appuya contre sa poitrine. Elle était prête à accepter cette part déroutante de Kenji qui semblait exiger de l’incertitude. Ce qu’il faisait, comment il le faisait n’avait qu’une importance relative puisqu’il revenait régulièrement la voir. Elle le connaissait, maintenant : il avait besoin de se persuader que c’était lui qui prenait toutes les initiatives.
    — Kenji, avez-vous été amoureux ?
    Il la regarda. Elle aurait voulu qu’il l’aimât, mais l’amour était un langage qu’il ne pratiquait plus depuis la mort de Daphné.
    Elle s’écarta et l’observa à travers ses paupières à demi closes.
    — Nos rapport sont très agréables, Eudoxie, ne gâchons rien.
    — Pardon de vous avoir questionné.
    — Vous ne pouviez savoir. Je ne veux pas réveiller le passé, aussi gardons-nous d’aborder ce sujet. À bientôt, ma belle.
     
     
    Le colonel de Réauville tortilla sa moustache à la gauloise, signe de profonde satisfaction. Bien qu’il ne lût que la chronique financière et quelques articles ciblés de la Revue illustrée , le manuscrit du XV° siècle qu’il venait d’acquérir serait la pièce maîtresse de sa bibliothèque. Il pourrait le faire admirer à ses hôtes à l’heure du café, car sa nouvelle épouse s’était mis en tête de tenir un salon artistique dans son hôtel de la rue Barbet-de-Jouy. On y côtoyait Paul Déroulède, le fondateur de la

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