Le secret des enfants rouges
femme. L’émissaire lui emboîta le pas. Devant eux, tel un « burg » dessiné par Hugo, se dressait la masse sombre d’une usine à gaz. L’émissaire aspira une goulée d’air, maîtrisa sa respiration et interpella l’homme.
— Léonard Diélette ?
— Ouais.
— Hier, rue Charlot, vous avez emporté un objet qui a été jeté par mégarde.
— Ah oui, je sais. Ce matin j’ai dit à Yvette d’aller rendre à César ce qui est à César.
— Vous en êtes certain ?
— Si j’en suis sûr ! Bien sûr qu’j’en suis sûr ! N’en v’l’à des histoires ! Nous autres on est des gens intègres, c’est pas parce qu’on racle les déchets des bourgeois qu’on a pas de moralité ! .J’suis un honnête gagne-petit, même que l’année dernière, j’ai reçu un prix de la Société de l’encouragement au bien, parce que j’avais restitué un biffeton dégoté dans un paletot. C’est comme je le dis. Si vous m’croyez pas, v’nez chez moi, quartier Dumathrat, vous verrez mon diplôme.
— Qui est Yvette ?
— Ma loupiotte. J’y ai dit : ce truc-là ça doit valoir des sous, passe le déposer à ses propriétaires avant d’aller turbiner. Non mais, pis quoi !
— Yvette, quel âge a-t-elle ?
— Onze ans.
— Et vous lui faites confiance ?
— J’en réponds, sur ma vie, c’est la fille de son père.
— Comment saviez-vous à qui appartenait l’objet ?
— À cause du XIX Siècle , il était entortillé dedans. Ce journal, y a que les locataires du 28 rue Charlot qui le lisent. Pensez si j’le sais, ça fait plus de trois ans que la cuisinière m’enveloppe les reliefs de tambouille dans cette feuille de chou.
— L’ennui c’est que personne n’est venu.
— Ça c’est fort ! On est recta, faut que j’vous fasse un dessin ? C’est notre dignité à nous, les purotins. J’trime à la sueur de mon front, moi ! Peut-être qu’il serait judicieux d’interroger vos domestiques. Me cherchez pas noise, sinon j’vais me fâcher.
Ils étaient arrivés au-dessus des voies ferrées.
— Elle est rentrée, votre fille ?
— À c’t’heure elle doit pioncer.
— On va lui poser la question, dit l’émissaire en portant une main à sa poche.
— Si j’veux, non mais !
— Oh mais tu veux, mon bonhomme Allez, avance, sinon… Tu vois ce joujou ? Il suffit que j’appuie sur la détente, et hop, adieu Léonard !
— Vous êtes malade !
Incrédule, bouche bée, Léonard Diélette fixait l’arme braquée sur lui. Son dos buta contre la rambarde qui surplombait les voies ferrées.
— On va y aller, souffla-t-il, pas de problème. L’émissaire secoua la tête.
— Le problème, c’est toi.
L’émissaire s’élança en avant, le revolver lui échappa. Ses mains gantées poussèrent violemment la poitrine du chiffonnier.
Léonard Diélette, l’œil hagard sous sa toison en bataille, bascula par-dessus le garde-fou. Il brassa l’air désespérément. Tombant à la renverse, il rebondit le long de la butte jusqu’aux rails, tout en bas.
Un cri strident se fondit sous le sifflet d’une locomotive. L’émissaire se retourna. Une ombre filiforme disparut à l’angle de l’usine à gaz.
Un ciel fuligineux pesait sur le terrain vague hérissé de bicoques alignées en bordure de la barrière des Deux-Moulins. Épuisé, les nerfs à vifs suite à cet après-midi perdu en compagnie de cette vieille culotte de peau de Réauville, Joseph s’arrêta un instant. Aucun collignon n’avait accepté de l’emmener au village des chiffonniers et il avait dû marcher depuis la gare d’Orléans 28 . Face à l’agglomération des cahutes noyées de brume, il répugnait à s’aventurer dans ce qui ressemblait à un coupe-gorge.
« J’y vas-t-y, j’y vas-t-y pas ? C’est pire que le maquis de Montmartre. J’y vas pas. »
Alors qu’il allait rebrousser chemin, il se souvint de ce qu’Iris lui avait chuchoté à son retour de l’avenue Foch : « Soyez prudent. » Comment était-elle au courant de sa mission secrète ? M. Legris s’était-il livré à elle ? Ou faisait-elle allusion à la conversation qu’il devait avoir avec son père et qu’il éludait sans cesse ? Dans le doute, il prit le taureau par les cornes et pénétra cité Doré.
Ce nom pompeux ne devait rien à une richesse invisible à l’œil nu. C’était simplement celui de l’ancien propriétaire des lieux, M. Doré, un chimiste qui
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