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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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qui tu destines cet argent, tu comprendras ta douleur.
    — Il est plus généreux que tu ne le penses ! s’écria-t-elle.
    — Tu es d’une naïveté ! De toute façon, je ne toucherai pas à son argent, il est sale. La Bourse est aussi obscène qu’un bordel.
    — Tu es blanc comme neige, hein ? Toi qui as abandonné ta femme et tes filles pour la bonne cause !
    — Ne mélange pas la sphère privée et l’engagement politique.
    — Ah oui ? Tant que les hommes n’appliqueront pas à la maison les théories révolutionnaires qu’ils prônent dans la rue, rien ne bougera en ce monde ! Elle s’était dressée, subitement hors d’elle.
    — Tu es ravissante quand tu perds ton sang-froid, katzele 45 .
    — Cesse de me traiter en gamine !
    Elle s’éloigna vivement, gagna des alignements de fabriques que surmontaient les mâts des chalands amarrés aux quais du canal. Aux environs du bassin de la Villette, une senteur fade mêlée aux relents de vase lui emplit les narines. Il la rattrapa, le souffle court.
    — La colère te donne des ailes, feigele 46 .
    — Pardonne-moi, c’est que… Tu es injuste. Victor est peut-être un bourgeois au sens social du terme, mais il a du cœur, c’est grâce à lui que j’ai trouvé ma place en France.
    — L’amour t’aveugle, tu l’idéalises. Ton Victor s’accommode parfaitement de la situation : tu passes à la casserole, et lui ne prend aucune responsabilité.
    — Mensonge ! Il me supplie de l’épouser, c’est moi qui ne veux pas.
    — Pourquoi ? Tu deviendrais une matrone boursicotière.
    — Décidément tu ne changeras jamais.
    Ils débouchèrent devant les abattoirs. Cette odeur douceâtre qui imprégnait l’air, c’était celle du sang des bêtes égorgées. Une cohorte de bouchers, des carcasses de bœufs jetées sur l’épaule, allaient et venaient le long des ruelles sales et tristes. Tasha lutta contre une envie de pleurer.
     
    Il était environ vingt heures lorsque Victor avisa une jeune femme poussant un orgue de Barbarie. Elle contourna la place et pénétra au numéro 3 de la rue Saint-André-des-Arts. Il hésita sur la conduite à tenir. L’interpeller ? Non. Elle était leur ultime chance pour retrouver la coupe. En la voyant reparaître au bras d’un lascar chevelu coiffé d’un feutre Rembrandt, il décida de les suivre.
    Parmi les étudiants correctement vêtus qui s’aggloméraient autour des brasseries se détachaient quelques bohèmes à la mise surannée ou sensationnelle. Rebelles au formalisme, ils refusaient de s’embrigader dans une carrière fatale à leur goût de la liberté, tournaient le dos aux conventions et gravitaient au sein d’un univers parallèle. Le compagnon de l’Italienne appartenait de toute évidence à ce microcosme marginal. A grands coups de chapeau, il saluait des individus étiques, fagotés à la mode 1880: vestons cintrés et pantalons moulants, ou des potaches hirsutes adeptes du béret et de l’ample pèlerine décolorée, qui faisaient la retape pour un bock.
    L’Italienne tenait à l’évidence les cordons de la bourse, car à chaque sollicitation elle secouait négativement le chef. Victor n’avait guère de peine à filer le couple au milieu de la foule du boulevard Saint-Michel sillonné de crieurs de journaux, de femmes en quête d’un gogo qui leur offrirait à souper, de fonctionnaires et de calicots venus s’encanailler.
    Au coin de la rue des Écoles, les tourtereaux s’engouffrèrent à l’intérieur du café Vachette. Indécis, Victor piétina devant la porte, constamment malmenée par de nouveaux arrivants, puis il la franchit à son tour.
    Peu de tables inoccupées. Il aurait pu s’installer à celle où ronflait un ivrogne affalé en travers d’une banquette de moleskine, derrière l’Italienne et son compagnon, mais la vue du poivrot dont le galurin rabattu dissimulait les traits l’écœura. Il réussit à se faufiler non loin du couple et, en dépit d’une assemblée vociférante, parvint à saisir leurs propos.
    Un type au visage aussi mangé de poils qu’une tête de-loup vint s’échouer à leur côté. L’homme au Rembrandt le présenta à l’Italienne sous le qualificatif de Trimouillat, poète. Ce dernier s’enquit des progrès de La Vierge de Lutèce .
    — Elle va bientôt repousser l’envahisseur. En cet hiver 451, les Huns campent à Melun, ils bivouaquent à Argenteuil et Créteil, l’étau d’Attila se resserre. À

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