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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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un brave garçon, et la prostituée de Babylone !
    Joseph offrit une troisième page à Fortunat.
    — Sont-ils allés en Grande-Bretagne ?
    — Ah, malheureux ! Buvons un coup, buvons-en deux à la santé du roi de France. Ne prononcez jamais devant moi le nom de la perfide Albion, mon grand-oncle a été coupé en deux à Trafalgar ! Merde à l’Angleterre, Antoine s’y rendait de temps à autre, il donnait des conférences sur les singes, encore et toujours les singes ! Ah, petit valet, quand je manque de tabac, je suis incapable d’aligner deux idées. Ma fille Gabrielle a été envoûtée. Je vais vous chuchoter une confidence, tout roturier que vous soyez. Je me révolterai, j’ai de quoi : rapières et pistolets
    — Vous savez tirer ?
    — Ha, ha, croquant ! J’ai canardé les insurgés en 1830. Couic ! J’ai aussi appris à ma fille à manipuler la gâchette. Allons, vite, où est mon arquebuse ?… Eh bien, petit valet, retirez-vous, je dois retrouver ma meute, l’hallali a sonné, c’est l’heure, taïaut !
    — Un dernier point. En dehors de votre fille, quelqu’un d’autre se sert-il d’une arme à feu ici ?
    — Je me suis laissé dire qu’à Java, leur passe-temps favori à tous était de cribler des melons plantés sur des piques, oui, même la prostituée de Babylone ! Moutardiers du pape, je vous écrase de mon mépris. Des melons…
    Joseph prit la poudre d’escampette sans attendre la suite.
     
    L’émissaire vit surgir le commis à midi pétant et fonça droit vers une boucherie dont la vitrine lui servit de miroir. Sans doute le blondinet venait-il relever l’associé, en planque dès potron-minet.
    Les passants s’attroupaient devant l’étal où le premier garçon, manches retroussées, sculptait au grattoir un bloc de saindoux représentant un cochon de lait. De son poste d’observation, l’émissaire ne lâchait pas des yeux les deux compères, tout en fixant des gigots cravatés de cols Médicis. À cette distance, impossible d’entendre quoi que ce soit, mais le blondinet avait sûrement soulevé un gros lièvre car il ponctuait son discours de gestes grandiloquents. Que pouvaient-ils se raconter ? L’émissaire tremblait de fureur.
    « Par pitié, Seigneur, faites que mon calvaire prenne fin ! Que ces sales types me conduisent à la flétrissure, amen ! »
    — Alors patron, l’Italienne, vous l’avez vue ?
    — Non. Je fais le pied de grue depuis six heures du matin. Plusieurs femmes sont sorties du numéro 3, mais pas l’ombre d’une joueuse d’orgue de Barbarie. Je suppose qu’elle démarre sa tournée l’après-midi. Et votre visite à M. de Vigneules, Joseph ?
    — Arrimez-vous, patron, Antoine du Houssoye portait les cornes. J’ai surpris un tête-à-tête qui ne laisse subsister aucun doute. Son épouse et un certain Alexis sont amants. Pourquoi cette tête longue comme un cercueil ?
    — En voilà une nouvelle ! C’est tout ?
    — Non, le vieux sapajou m’a rendu à moitié cinglé, répliqua Joseph avec aigreur. La prochaine fois, vous irez lui rendre hommage en personne, parce que moi nibergue !
    Et Joseph entama un récit emberlificoté d’où il ressortait que chacun des locataires de la rue Charlot cachait probablement un cadavre dans son placard. Victor s’interrogeait. Ces dessous féminins trouvés au sous-sol d’un immeuble de la rue du Poitou posaient un problème.
    — Ils appartiennent à la camériste ?
    — C’est ce, qu’affirme le vieux. Elle s’appelle Lucie Robin. Il m’a montré son chiffre brodé, et puis il y avait aussi une coccinelle à sept points. Je n’en démords pas, patron, il fait danser son monde en simulant la folie douce. Il m’a jeté tout ça en vrac comme un os à un chien dont on veut se débarrasser. Et il s’y connaît en cadors, ce vieux libidineux. Et il y a…
    Victor inclina la tête. Quelque chose de stupéfiant venait de le frapper. En dépit de ses sages résolutions de ne plus prêter foi à son intuition, il venait de se souvenir d’une remarque de Mme du Houssoye à propos de la camériste. «… partie en coup de vent, soigner…» Soigner qui ?
    — Oui, c’est ça… le secrétaire lui a demandé si…Quand ? Quand est-elle partie ! marmonna-t-il en caressant sa moustache.
    Partagé entre la stupeur et l’exaspération, Joseph dévisageait son patron sans pouvoir prononcer un mot. Visiblement, M. Legris se contrefichait de ses efforts.

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