Le seigneur des Steppes
dans un silence entrecoupé de halètements. Taran,
qui était tombé sur le Jin, tentait désespérément de profiter de cet avantage. Il
frappait des genoux et des coudes, ses deux mains, dont celle armée du poignard,
bloquées par celles de l’ennemi. Leurs regards s’affrontèrent brièvement avant
que le jeune Mongol abatte sa tête sur le nez du Jin. Il le sentit se briser et
l’homme poussa un cri. Les deux mains toujours immobilisées, Taran cogna du
front contre le visage ensanglanté, encore et encore. Il parvint à glisser un
de ses avant-bras sous le menton de son adversaire, pressa la gorge exposée. L’étreinte
autour de son poignet se desserra, des ongles cherchèrent à l’aveugler. Taran
ramena sa tête en arrière et l’abattit de nouveau sans regarder.
Ce fut fini aussi soudainement que cela avait commencé. Ouvrant
les yeux, le Mongol vit que le soldat jin fixait le ciel. Le poignard s’était
enfoncé sans que Taran s’en rende compte et demeurait planté dans le manteau
doublé de fourrure du Jin. Pantelant dans l’air rare, Taran n’arrivait pas à
retrouver son souffle. Il entendit Vesak appeler, se rendit compte que cela
faisait un moment qu’il l’entendait sans en prendre conscience.
Après avoir extrait son couteau du cadavre, Taran se releva.
Pendant la lutte, la corde s’était enroulée autour de ses pieds et il dut s’en
dépêtrer. Vesak appela de nouveau, d’une voix plus faible. Le jeune éclaireur n’arrivait
pas à détacher ses yeux de l’homme qu’il venait de tuer. Ce fut l’affaire d’un
moment pour lui ôter sa pelisse et s’en envelopper. Sans le manteau, le corps
de l’ennemi paraissait plus petit. Taran baissa les yeux vers le sang répandu
dans la neige, des gouttes dessinant la forme de la tête là où elle avait été
précédemment. Pris de nausée, il se frotta rudement le visage. Quand il se
tourna enfin vers Vesak, il vit que son compagnon avait réussi à se mettre en
position assise et le regardait. Taran lui adressa un signe de tête puis se
pencha pour couper l’oreille de son premier ennemi tué.
Après avoir glissé le trophée macabre dans une poche, il
rejoignit Vesak en titubant. Le froid que la lutte avait chassé le saisit de
nouveau et il se remit à trembler, claquant des dents chaque fois qu’il
desserrait les mâchoires.
Vesak haletait, le visage crispé par la douleur. Le trait l’avait
atteint au flanc, sous les côtes. Et le sang commençait déjà à geler autour de
la hampe noire. Taran tendit le bras pour l’aider à se mettre sur pied, mais le
vieil homme secoua la tête.
— Je ne peux pas me lever, murmura-t-il. Laisse-moi ici
et continue.
Taran refusa. Il voulut soulever son compagnon mais il
pesait trop pour lui et il tomba à genoux dans la neige.
— Laisse-moi mourir, dit Vesak. Reconnais du mieux que
tu pourras le chemin que le Jin a suivi. Il venait de plus haut, tu comprends. Il
doit y avoir un passage.
— Je vais te traîner en te mettant sur son manteau et
en tirant, répondit Taran, qui ne pouvait croire que son ami renonçait.
Il étendit le vêtement sur la neige, les jambes flageolantes,
dut s’appuyer à un rocher et attendre que ses forces reviennent.
— Tu dois trouver la piste, mon garçon, lui enjoignit
Vesak à voix basse. Il ne venait pas de notre côté de la montagne.
La respiration de plus en plus irrégulière, il ferma les
yeux. Par-dessus son épaule, Taran aperçut le soldat mort gisant dans son sang
et sentit son estomac se soulever. Il se pencha, eut un haut-le-cœur. Il n’avait
rien à vomir, mais un filet de bile coula de ses lèvres et tacha la neige. Furieux
contre lui-même, il s’essuya la bouche, jeta un coup d’œil à son compagnon, dont
le visage se couvrait de flocons. Taran le secoua mais Vesak ne réagit pas. Le
jeune homme était désormais seul dans le vent qui hurlait.
Au bout d’un moment, il se dirigea en chancelant vers l’endroit
où le Jin était étendu. Pour la première fois, il regarda au-delà du cadavre et
recouvra des forces. Il coupa la corde avec son couteau, commença à grimper, glissa
plus d’une fois. Il n’y avait pas de piste mais il sentait le sol sous la neige
en gravissant la pente. Il sanglotait à chaque inspiration, finit par se
retrouver à l’abri du vent, sous un rocher de granit. Le pic était encore plus
haut mais il n’avait pas à monter jusque-là. Devant lui, il vit une corde à l’endroit
où le soldat
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