Le seigneur des Steppes
jin avait terminé son ascension. Vesak avait raison, il y avait un
chemin menant à l’autre versant, et la muraille intérieure tant vantée ne se
révélait pas meilleure défense que l’autre.
Il demeura un moment immobile, l’esprit engourdi par le
froid. Finalement, il hocha la tête et, entamant la descente, passa devant les
deux morts. Il n’échouerait pas. Süböteï attendait le rapport de ses éclaireurs.
Derrière lui, la neige tombait dru, recouvrant les cadavres
et effaçant toute trace de la lutte sanglante jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une
surface blanche parfaitement lisse.
Le camp n’était pas silencieux sous la neige. Les généraux
mongols y entraînaient leurs hommes à manœuvrer et à tirer à l’arc. Les mains
et le visage enduits de graisse de mouton, les guerriers lancés au galop
décochaient des flèches sur des ennemis de paille espacés de dix pas. Les
mannequins tressautaient sous les impacts et de jeunes garçons couraient
récupérer les flèches en estimant le temps dont ils disposaient avant que le
cavalier suivant déboule.
Les prisonniers faits dans les villes étaient encore des
milliers, malgré les jeux de guerre que Khasar leur imposait. Ils étaient
regroupés à la lisière des yourtes, affamés, gardés par quelques bergers
seulement, mais ne tentaient plus de fuir. Les premiers jours, quelques-uns s’étaient
échappés, mais tout Mongol était capable de suivre les traces d’un mouton égaré
et les guerriers chargés de les rattraper avaient ramené les têtes des fugitifs
et les avaient lancées dans la masse des captifs en guise d’avertissement.
La fumée des poêles restait suspendue au-dessus de chaque
tente tandis que les femmes faisaient cuire les animaux abattus et distillaient
l’airag pour réchauffer leurs hommes. Lorsque les guerriers s’entraînaient, ils
mangeaient et buvaient plus que d’ordinaire pour protéger leur corps d’une
couche de graisse supplémentaire contre le froid. C’était dur d’engraisser en
passant douze heures par jour en selle, mais l’ordre émanait de Gengis et on
avait tué près d’un tiers des bêtes pour satisfaire la faim des guerriers.
Süböteï amena Taran à la grande yourte une fois que le jeune
éclaireur eut fait son rapport. Gengis, qui y discutait avec ses frères Khasar
et Kachium, en sortit dès qu’il entendit Süböteï approcher. Le khan remarqua
que l’adolescent qui accompagnait le général était exténué et oscillait dans le
froid. Il avait des cernes noirs sous les yeux et semblait n’avoir rien avalé
depuis des jours.
— Viens avec moi dans la tente de mon épouse, dit le
khan, elle te donnera de la viande chaude pour te remplir l’estomac pendant que
nous parlerons.
Süböteï s’inclina, Taran l’imita maladroitement, intimidé de
se retrouver devant le Grand Khan en personne. Il suivit les deux hommes tandis
que Süböteï informait Gengis du passage que Vesak et lui avaient découvert. Le
garçon leva les yeux vers les montagnes en songeant que le corps de son
camarade était enfoui sous la neige, là-haut quelque part. Peut-être qu’il
réapparaîtrait au printemps avec le dégel. Taran était trop épuisé, il avait
trop froid pour penser, et quand il fut enfin à l’abri du vent, il serra de ses
doigts gourds un bol de ragoût gras et porta avidement la nourriture à sa bouche.
Gengis observait le jeune éclaireur, amusé par son appétit
féroce et les regards d’envie qu’il jetait à l’aigle juché sur son perchoir. Bien
qu’encapuchonné, l’oiseau rouge tourna la tête vers le visiteur et parut le
fixer en retour.
Börte s’affairait autour de Taran, remplissant son bol à
peine était-il vide. Elle lui donna aussi une outre d’arkhi qui le fit tousser
et s’étrangler puis approuva de la tête quand des rougeurs colorèrent de
nouveau ses joues gelées.
— Tu as trouvé un passage ? lui demanda le khan
lorsque ses yeux eurent perdu leur aspect vitreux.
— Vesak l’a trouvé, seigneur, répondit Taran.
Il parut se rappeler soudain quelque chose, glissa ses
doigts raides dans sa poche et en tira ce qui était manifestement une oreille.
— J’ai tué un soldat qui nous attendait là-haut, dit-il
en la brandissant fièrement.
Gengis prit le trophée, l’examina avant de le lui rendre.
— Tu t’es bien comporté. Sauras-tu retrouver le passage ?
Taran acquiesça en serrant l’oreille comme un talisman.
Tant
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