Le seigneur des Steppes
quinzième année. Les autres éclaireurs de
leur groupe assuraient que Vesak connaissait Süböteï, le général des Jeunes
Loups, et qu’il le saluait comme un vieil ami lorsqu’il le rencontrait. C’était
peut-être vrai. Comme Süböteï, Vesak appartenait aux Uriangkhais, une tribu du
Nord, et ne semblait pas souffrir du froid. Taran glissa sur une plaque de
glace et faillit tomber. Il se rattrapa en plantant son couteau dans une
fissure et en lâcha presque la poignée quand sa glissade s’arrêta brusquement. Il
sentit la main de Vesak presser brièvement son épaule puis vit le vieil homme
le dépasser en trottinant. Taran se releva, s’efforça de le suivre.
Le jeune Mongol était perdu dans son monde de souffrance
lorsqu’il vit Vesak faire halte devant lui. Ils longeaient une crête si
glissante et dangereuse qu’ils s’étaient encordés afin que l’un puisse sauver l’autre
en cas de chute. Taran rejoignit son compagnon, qui s’était accroupi. Quand il
se baissa lui aussi, avec un grognement à peine étouffé, la glace recouvrant
son deel tomba en plaques pointues. Malgré ses gants en peau de mouton, il
avait les doigts glacés. Il porta une poignée de neige à sa bouche et la suça. Maintenant
que l’eau de sa gourde était gelée, il n’avait que ce moyen pour étancher sa
soif.
Accroupi lui aussi, il se demanda comment les chevaux
parvenaient à survivre dans la steppe quand les rivières gelaient. Les brins d’herbe
qu’ils réussissaient à trouver sous la neige semblaient leur suffire. Épuisé, il
ouvrit la bouche pour poser la question à Vesak, mais le vieil éclaireur lui
fit signe de se taire.
Les sens à nouveau en éveil, Taran eut l’impression que son
corps sortait de son engourdissement. Ce n’était pas la première fois qu’il se
retrouvait à proximité d’éclaireurs jin. Celui qui commandait l’armée tenant la
passe en avait envoyé un grand nombre reconnaître les environs. Avec la tempête
de neige qui empêchait de voir plus loin que quelques pas, les hauteurs étaient
devenues l’enjeu d’un affrontement mortel entre les deux camps. Le frère aîné
de Taran avait inopinément croisé le chemin d’un de ces éclaireurs ennemis. Il
avait rapporté une oreille du Jin comme preuve de sa victoire et Taran se
demandait s’il aurait lui aussi la chance de montrer un tel trophée aux autres
guerriers. Moins d’un tiers avaient l’expérience du combat et on savait que Süböteï
choisissait ses officiers parmi eux plutôt que parmi ceux dont la bravoure n’était
pas encore reconnue. Taran n’avait ni sabre ni arc mais son poignard était
tranchant. Il fit rouler ses poignets raides pour les assouplir.
Les genoux douloureux, il se rapprocha encore de Vesak, les
hurlements du vent couvrant tout bruit de mouvement. Il scruta le tourbillon
blanc pour repérer ce que son aîné avait vu. Vesak demeurait totalement
immobile et Taran s’efforçait de l’imiter, bien que le froid montant du sol le
fît constamment frissonner.
Là-bas. Quelque chose avait bougé. Les éclaireurs jin
portaient des vêtements clairs qui se confondaient avec la neige et les
rendaient presque invisibles. Taran se rappela les histoires que racontaient
les vieux guerriers, selon lesquelles les montagnes cachaient d’autres
créatures que les hommes quand la neige tourbillonnait. Espérant qu’il ne s’agissait
là que de sornettes destinées à l’effrayer, il n’en serra pas moins la poignée
de son couteau.
La forme, quoi qu’elle pût être, ne remuait plus. Vesak se
pencha vers Taran pour lui murmurer quelque chose à l’oreille et soudain une
silhouette d’homme jaillit d’un banc de neige, une arbalète dans les mains.
Vesak se jeta à terre et roula sur le côté. Taran entendit
le claquement de la corde ; tout à coup, il y eut du sang sur la neige, Vesak
poussa un cri de rage et de douleur. Ne sentant plus le froid, Taran s’élança. On
lui avait expliqué comment réagir face à un arbalétrier et il se rua en avant. Il
n’avait que quelques instants de sursis avant que l’homme tende de nouveau la
corde de son arme.
Taran glissa sur le sol gelé, la corde qui le reliait à
Vesak ondulant dans son sillage. Il n’avait pas le temps de la couper. Il vit l’éclaireur
jin s’affairer sur son arbalète et se jeta sur lui, le renversant. L’arbalète
vola sur le côté et Taran se retrouva agrippé à un homme plus robuste que lui.
Ils luttèrent
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