Le Serpent de feu
soulevé le combiné et composa, cette fois sans que je l’en empêche, les trois chiffres de la police métropolitaine.
— Vous n’avez aucune idée de l’endroit où Ambrose pourrait se cacher ?
Cecily était toujours sous le choc de ma déclaration.
— Il faut que vous m’aidiez, l’implorai-je.
— J’ignore où… où il peut être, finit-elle par bredouiller.
— En dehors de la peinture, que faisait-il ?
— Il n’y avait que son art.
— Lui restait-il de la famille ?
— Pas que je sache.
Par habitude, je voulus frictionner mon crâne pour m’aider à réfléchir, mais je ne réussis qu’à me marteler le front, oubliant que j’avais désormais troqué mes mains fines contre d’énormes battoirs.
Je ne savais que faire.
— Son père était débardeur, ajouta Cecily en faisant un effort considérable sur elle-même pour rassembler ses idées. Il travaillait sur le George’s Dock à Liverpool. Il est mort de la tuberculose quand Ambrose avait quatorze ans. Sa mère l’a suivi dans la tombe quelques semaines plus tard.
— Docker…
— Il me racontait que ses plus beaux souvenirs, c’était les fois où son père l’emmenait sur les quais observer les vaisseaux que l’on déchargeait.
— L’île aux Chiens… échafaudai-je tout haut.
Je venais subitement de me rappeler mon entrevue avec l’inspecteur à mon retour de Swindon, quatre jours auparavant. Celui-ci m’avait débité un échantillon des dépositions les plus farfelues que la chambre d’information du Yard avait recueillies depuis la parution du dessin dans la presse. Cependant, parmi ces témoignages, il y avait celui, beaucoup plus sérieux, que Staiton avait mentionné concernant un individu aperçu devant un bâtiment désaffecté au bord de la Tamise, près des Millwall Docks. Quand ses hommes s’étaient rendus sur place, ils n’avaient trouvé aucune trace de l’homme du portrait. Seulement… un artiste peintre qui travaillait sa toile.
Cette piste était infime, mais je ne disposais d’aucune autre. C’était mon seul et ultime espoir de pouvoir me réapproprier mon corps et sortir James de ce guêpier.
Je me relevai, ramassai mon feutre sur le plancher et me précipitai vers la porte.
— Hé ! Où allez-vous comme ça ? protesta Lucy.
— Ne vous occupez pas de moi et restez auprès de Cecily. Vous m’entendez ? Ne la laissez pas seule, même une seconde !
L’ascenseur tardant à venir, je me lançai dans l’escalier, au mépris du sens de l’équilibre très aléatoire qui était le mien. Dans la rue, je dus marcher jusqu’à Francis Street avant de trouver un taxi. Dès que j’eus sauté sur la banquette arrière, j’intimai l’ordre au chauffeur de me conduire dans l’île aux Chiens, aussi vite qu’il était possible.
Quand le cab prit la direction de Hyde Park Corner afin d’éviter les encombrements, il me sembla, sans que je pusse toutefois le jurer, qu’un véhicule nous suivait de loin.
XVIII
Où Singleton se lance
à la poursuite d’une part
non négligeable de lui-même
Le chauffeur fut contraint d’effectuer un détour interminable par Marylebone et Clerkenwell pour rallier l’est de la capitale sans être pris au milieu des embouteillages. Heureusement, passé la gare de Liverpool Street, il put filer bon train jusqu’à Limehouse.
Plusieurs fois sur le trajet je cherchai à apercevoir la conduite intérieure qui paraissait nous avoir filés, mais, au bout du compte, il devait s’agir d’une méprise car la voiture avait disparu.
Il était huit heures et demie quand le taxi s’engagea dans West Ferry Road, l’une des deux seules routes qui permettaient de traverser les bassins des West India Docks et reliaient Poplar à l’île aux Chiens. Cette dernière n’avait rien d’une île en vérité. Elle consistait en une langue de terre lovée dans une boucle de la Tamise et devait paraît-il son nom aux chenils du roi Édouard III, installés à l’époque où le site n’était qu’une vaste étendue de marécages.
Depuis le milieu du siècle dernier et le considérable développement du port de Londres, la péninsule des Dogs était constituée d’affreux quartiers où des casernes aux toits de tôle ondulée, qui abritaient une partie de l’innombrable contingent des travailleurs du fleuve, voisinaient avec des ateliers, des forges et des entrepôts.
Staiton avait parlé d’un édifice situé sur le bord de la Tamise,
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