Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
exhibitions. Des formes, des couleurs ainsi qu’un millier de détails lui revenaient à l’esprit. Au milieu de tout ça, la figure du vieux type sur la caisse à munitions paraissait dominante…
Quelqu’un s’écria : « les voilà qui arrivent ! »
Il y eut un tumulte, et un brouhaha de paroles confuses s’éleva parmi les hommes. On montrait le désir fiévreux d’avoir le plus de cartouches prêtes sous la main. Les boîtes à munitions furent tirées, mises tout autour dans différentes positions, et rangées avec une grande attention. Comme si toutes ces boîtes contenaient des bonnets neufs qu’on était sur le point d’essayer.
Le soldat de grande taille ayant préparé son fusil, produisit une espèce de mouchoir rouge. Il s’occupait à le nouer autour de la gorge avec une attention soignée, quand le cri d’alerte fût répété tout le long de la ligne, en un rugissement étouffé : « Les voilà qui arrivent ! Les voilà qui arrivent ! ». On entendit les claquements secs des fusils qu’on charge.
À travers les champs enfumés arrivait l’essaim d’hommes en tenue sombre, qui couraient en jetant des cris aigus. Ils avançaient la tête penchée et le fusil qui balançait violemment. Un étendard, incliné vers l’avant courait tout près de la ligne d’attaque.
Quand il les vit, l’adolescent fût momentanément secoué par l’idée que peut-être son fusil n’était pas chargé. Il essaya de rassembler ses esprits afin de se rappeler le moment où il l’avait fait, mais sans y arriver.
Un général décoiffé mit son cheval à l’arrêt près du colonel de la 304è. Il agita le poing devant le visage de ce dernier :
– « Vous devez les retenir ! » criait-il sauvagement. « Vous devez les retenir ! »
Dans son désarroi le colonel balbutia : « C’est… c’est… bon mon général. Tout va bien par Dieu !… Nous… nous… nous fe… ferons de notre mieux mon général. » Le général fit un geste passionné, et s’éloigna au galop. Le colonel, saisissant l’occasion pour se remonter le moral, commença à réprimander comme un perroquet qui vient de recevoir un sceau d’eau. L’adolescent se retournant vivement pour s’assurer que les arrières n’étaient pas inquiétés, le vit qui regardait ses hommes avec un air de profond mépris, comme s’il regrettait par-dessus tout de s’associer à eux.
L’homme à ses côtés parlait comme pour lui-même : « Oh ! nous y sommes maintenant ! Oh ! nous y sommes maintenant ! »
À l’arrière, le capitaine de la compagnie faisait des va-et-vient nerveux. À la manière d’un maître d’école, il adressait des propos affectueux aux soldats comme s’il était en présence d’élèves à leur première classe. Il répétait sans fin « Ne gaspillez pas votre tir… ne tirez que lorsque je vous le dirais… économisez vos coups de feu… attendez jusqu’à ce qu’ils soient à votre portée… ne faites pas les idiots… »
Le visage sale inondé par la sueur, l’adolescent ressemblait à un mioche qui pleurait. Avec un geste nerveux, il essuyait fréquemment les yeux avec le manche de sa veste ; la bouche toujours entre ouverte.
Dès qu’il vit l’essaim ennemi envahir le champ en face de lui, il cessa aussitôt de se demander si le fusil était chargé ou pas. Avant qu’il ne fût prêt de commencer, – avant qu’il ne se dise à lui-même être sur le point de se battre –, il jeta en position le fusil docile et bien équilibré, et tira avec rage un premier coup de feu. Immédiatement après il manœuvrait son arme avec l’automatisme d’un ancien.
Il perdait soudain tout intérêt pour lui-même, il oubliait même de faire face au destin menaçant. Il n’était plus un homme isolé, mais le membre d’un tout, et sentait que ce tout dont il faisait partie, – un régiment, une armée, une cause ou un pays –, était en crise. Il était soudé à une entité dominée par un unique désir. Pour le moment il ne pouvait fuir de même qu’un doigt ne peut se retrancher d’une main par lui-même.
S’il eut pensé que le régiment était sur le point d’être anéanti, peut-être aurait-il pu s’en libérer. Mais le bruit qu’il faisait lui redonna confiance. Comme un feu d’artifice, un régiment une fois allumé, domine, jusqu’à ce que sa puissance de feu décroisse. Les sifflements et les explosions témoignaient d’une formidable puissance. Il
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