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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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simple exercice de tir. En écoutant à présent ce fracas énorme, il douta avoir été le témoin de vraies scènes de batailles. L’assourdissant tumulte parlait de batailles célestes, comme si des hordes de dieux se jetaient aux prises dans les airs.
    En y réfléchissant, il trouvait drôle que, lors de la dernière rencontre, lui et ses camarades aient pu croire qu’ils allaient décider du sort de la bataille : ils s’étaient pris, et avaient pris l’ennemi trop au sérieux. Chacun d’entre eux avait dû penser qu’il traçait profondément son nom dans d’éternelles tablettes dorées, ou qu’il élevait sa réputation pour toujours à l’autel de gloire, dans le cœur de ses concitoyens ; alors qu’en réalité l’affaire tiendrait dans des bulletins imprimés aux titres humbles et laconiques. Mais il trouvait cela bien ; sinon, se dit-il, à chaque bataille tout le monde se défilerait, si ce n’était l’espoir et les choses de ce genre.
    Il se mit à avancer rapidement. Il souhaitait arriver à temps à la lisière de la forêt pour voir ce qui se passait.
    Alors qu’il se hâtait, l’image de conflits extraordinaires traversa sa pensée ; qui, à force de ressasser de tels sujets, s’était habituée à imaginer leurs scènes. Le fracas de la bataille était comme la voix d’un être éloquent qui décrivait.
    Quelquefois les taillis s’enchaînaient en un épais rideau qui semblait essayer de l’arrêter dans sa marche, et les arbres paraissaient se mettre sur son chemin, lui interdisant de passer en étendant leurs branches. Après l’hostilité déjà manifestée, cette nouvelle résistance de la forêt l’emplit d’une amertume aiguë. Il lui parût que la Nature n’était pas encore prête à le sacrifier.
    Mais il s’obstina à prendre des chemins détournés, et à présent, de là où il se trouvait, il pouvait voir de longs rideaux de fumée grise, qui indiquaient les lignes de bataille. La voix des canons le fit trembler, la mousqueterie résonna en longs éclats irréguliers qui lui crevaient le tympan. Il s’arrêta un moment à regarder en direction du combat. Ses yeux avaient une expression de frayeur, il était bouche bée.
    Maintenant il avançait droit devant lui. Pour lui la bataille était comme la meule d’une immense et terrible machine. Ses complications, sa puissance, et ses sinistres procédés le fascinaient. Il devait s’en approcher et la voir produire ses cadavres.
    L’adolescent arriva à une barrière et passa par-dessus. Au loin, le sol était jonché de vêtements et de fusils. Un journal replié, traînait dans la boue. Un soldat mort étendu de tout son long, avait le visage caché par son bras. Plus loin il y avait un groupe de quatre ou cinq cadavres tenant une triste assemblée. Le soleil brûlant avait déjà fait son œuvre.
    Dans cet endroit l’adolescent se sentait comme un intrus. Cette partie oubliée du champ de bataille appartenait aux morts. Il se hâta, dans la vague appréhension que l’un des corps déjà enflé ne se lève pour le sommer de partir.
    Il parvint finalement à une route, d’où il pouvait voir au loin de sombres corps de troupes qui s’agitaient, entourés par la fumée. Sur le chemin il y avait une foule d’hommes ensanglantés qui affluaient vers les arrières. Les blessés juraient, grognaient et gémissaient. Sans interruption les bruits prenaient des proportions si énormes que la terre entière semblait en vibrer : aux paroles tonnantes des canons et aux phrases crachotantes de la mousqueterie se mêlaient des hourras frénétiques. Et de cette zone orageuse coulait le flot ininterrompu des blessés.
    L’un d’eux avait une botte pleine de sang, il sautillait comme un écolier qui joue. Son rire était hystérique.
    Un autre jurait avoir été touché au bras à cause de la mauvaise gestion de l’armée par le commandement général. Un autre encore marchait au pas en imitant l’air sublime de quelque tambour major, sur ses traits il y avait un mélange malsain de joie et de douleur. En marchant, il chantait ce couplet burlesque, d’une haute et tremblante voix :
    « Chante, chante victoire !
    Une poignée de balles
    Vingt-cinq hommes morts
    Cuits comme… une tarte. »
    Une part de la procession boitait et vacillait en écoutant ce refrain.
    Un des blessés avait déjà le cachet livide de la mort sur le visage. Ses lèvres se retroussaient en lignes dures, et ses dents étaient

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