Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
ami paraissait souffrir une grande honte. En le regardant, l’adolescent sentait son cœur devenir plus courageux et plus fort. Il n’avait jamais été poussé à rougir comme ça pour ses actes, il était un individu aux qualités extraordinaires.
Il pensa avec une pitié condescendante : « Mauvais ça ! très mauvais ! le pauvre diable, il est dans une mauvaise passe ! »
Après cet incident, et en revoyant les scènes de bataille dont il fût témoin, il se sentait tout à fait en mesure de retourner chez lui, pour faire battre le cœur des gens avec des histoires de guerre. Il se voyait dans l’atmosphère chaleureuse d’une pièce, racontant des histoires à des auditeurs. Il pourrait exhiber les lauriers. Les siens seraient insignifiants, quoique dans un district où ils sont rares, ils pourraient briller.
Il voyait son audience fascinée, l’imaginant comme la figure centrale de scènes enflammées. Et il imaginait la consternation et les interjections de sa mère ainsi que de la jeune femme du séminaire, buvant ses récits. Leur vague et féminine foi en la personne aimée, réalisant des actes de bravoure au champ de bataille sans risquer sa vie, serait détruite.
CHAPITRE SEIZIÈME
Les rafales de mousqueterie s’entendaient toujours. Plus tard, les canons se joignirent à la dispute. Dans l’air brumeux, leurs voix avaient une sonorité étouffée. Les résonances étaient continues. Cette partie du monde menait une étrange et batailleuse existence.
Le régiment de l’adolescent fût envoyé pour relever des troupes installées depuis longtemps dans des tranchées humides. Les hommes avaient pris position derrière la ligne courbe des nids de mitrailleuses qui pointaient vers le haut, comme de grands socs de charrue, tout le long de la ligne des bois. Devant eux une étendue plate peuplée de souches courtes et déformées. Plus loin depuis les bois, parvenaient les coups de feu étouffés des tireurs avancés et des piquets de garde tirant à travers le brouillard. Par la droite arrivait le bruit d’un fracas terrifiant.
Les hommes se nichèrent derrière un petit talus, et se mirent à l’aise, attendant leur tour.
Nombre d’entre eux avaient le dos au feu. L’ami de l’adolescent s’étendit, enfonça son visage dans ses bras, et presque instantanément, selon toute apparence, s’endormit dans un profond sommeil.
L’adolescent appuya sa poitrine tout contre la boue brune, et scruta les bois d’un bout à l’autre de la ligne. Des rideaux d’arbres faisaient écran à sa vue. Il pouvait voir la ligne basse des tranchées qui se trouvaient à courte distance seulement. Quelques drapeaux désœuvrés étaient plantés sur les monticules boueux. Et derrière eux il y avait des rangées de corps sombres, avec quelques têtes émergeant avec curiosité du sommet des tranchées.
Le bruit des échanges de tir sporadiques venait toujours des bois, par devant et sur la gauche ; sur la droite le vacarme avait pris des proportions effrayantes. Les canons tonnaient sans un instant de répit. On avait l’impression que leurs coups venaient de toute part, qu’ils s’étaient engagés dans un stupéfiant accrochage. Il devenait impossible de se faire entendre.
L’adolescent souhaita lancer une plaisanterie, une citation des journaux. Il voulait dire : « Tout est calme sur le Rappahannock », mais les canons refusaient de permettre ne serait-ce qu’un commentaire sur leur tonnant discours. Il ne put jamais finir sa phrase. Mais enfin les canons s’arrêtèrent, et parmi les hommes dans les tranchées volaient à nouveau, les rumeurs ; mais pour la plupart, elles étaient maintenant des oiseaux noirs qui battaient tristement de l’aile, collées au sol sans qu’un vent d’espoir les aidât à s’élever. La face des hommes se fermait en interprétant ces augures. On parlait d’hésitations et d’incertitudes de la part des responsables haut placés. Des histoires de désastres confirmés par des preuves venaient à l’esprit de ces hommes. Ce fracas de mousqueterie sur la droite, qui grandissait comme si les portes de l’enfer s’ouvraient, exprimait en la soulignant la situation désespérée de l’armée.
Le cœur des hommes flanchait, et ils commençaient à marmonner. Ils faisaient des gestes expressifs en disant : « Ah, que peut-on faire de plus ? » Et l’on pouvait voir qu’ils étaient désorientés par les prétendues nouvelles, et ne
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