Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
tournèrent leurs visages vers lui, en fronçant les sourcils l’air vaguement mécontent.
Le bruit des coups de feu collait aux bruits de leurs pas. Parfois cela paraissait s’éloigner un peu plus loin, mais ça revenait toujours avec une insolence accrue. Les hommes murmuraient et juraient, jetant des regards noirs en direction des tirs.
Les troupes firent enfin halte dans un espace dégagé. Les régiments et les brigades, séparés durant la traversée des épais taillis, se rassemblaient à nouveau en lignes faisant face aux fusils de l’infanterie ennemie qui aboyaient derrière eux.
Ces bruits qui les poursuivaient comme les hurlements acharnés de lévriers de fer, s’accrurent jusqu’à atteindre un puissant et joyeux éclat ; et alors que le soleil montait sereinement, illuminant les sombres fourrés, le bruit devenait un roulement de tonnerre continu. Comme incendiés les bois se mirent à craquer.
– « Hou, Seigneur ! » dit un homme. « Nous y voilà ! Tout le monde se bat sang Dieux ! »
– « J’étais prêt à parier qu’ils attaqueraient aussitôt que le soleil se sera montré » affirma furieusement le lieutenant qui commandait la compagnie de l’adolescent. Il tiraillait impitoyablement sur sa petite moustache, en allant et venant à grands pas avec une sombre dignité derrière ses hommes ; ces derniers étaient couchés derrière n’importe quelle protection qu’ils purent trouver.
Une batterie fût roulée en position à l’arrière et bombardait avec attention dans le lointain. Le régiment, pas encore inquiété, attendait le moment où les ombres grises des bois devant eux seraient fendues par une ligne de feu. On jurait et l’on grognait beaucoup.
– « Bon Dieu, » grommela l’adolescent, « nous avons toujours été chassés dans les environs comme des rats ! ça me rend malade. Personne ne paraît savoir où nous allons et pourquoi, on reçoit juste des coups de feu d’un tronc d’arbre à l’autre ; on est battu ici et là, et personne ne sait à quoi ça sert. Ça vous rend un homme comme un chaton enfermé dans un sac. Maintenant je voudrais savoir pourquoi, par les foudres éternelles, on nous a fait marcher dans ces bois après tout ; à moins que ce soit pour nous donner en cible parfaite aux rebelles. On est venu ici, et tout le temps on s’emmêlait les jambes dans cette maudite bruyère, et puis on commence à se battre et les rebelles en prennent à leur aise. Ne me dites pas que c’est juste de la chance ! Je sais ce qui en est. C’est ce cher vieux… »
L’ami paraissait éreinté, mais il interrompit son camarade avec une calme assurance : « Tout finira par rentrer dans l’ordre » dit-il.
– « Oh du diable si ça va l’être ! Tu parles tout le temps comme un maudit pasteur. Ne me dit rien ! je sais… »
À ce moment-là, il y eut une interruption de la part du lieutenant coléreux, qui fût contraint de donner libre court à quelques-unes de ses frustrations intérieures sur la tête de ses hommes : « Vous les gars, la ferme immédiatement ! Vous n’avez pas besoin de gaspiller votre souffle en d’interminables arguments sur rien. Vous caquetez comme de vieilles poules. Tout ce que vous avez à faire est de vous battre, et ça vous allez en avoir plein les bras dans environs dix minutes. Moins vous parlerez et plus vous ferez attention au combat, et c’est le mieux pour vous les gars. Je n’ai jamais vu d’imbéciles aussi bavards ! »
Il fit une pause, prêt à sauter sur celui qui aurait la témérité de répondre. Nul mot n’ayant été dit, il poursuivit ses allées et venues avec dignité.
– « Il y a plus de bla-bla que de bataille dans cette guerre, après tout » leur dit-il en tournant la tête en guise de remarque finale.
Le jour devenait plus lumineux, jusqu’à ce que le soleil eût déversé tout son rayonnement sur la forêt envahie par les hommes. Une sorte de vent de bataille balaya cette partie de la ligne où se trouvait le régiment de l’adolescent. Et la ligne de front remua quelque peu pour y faire face. Il eut une attente. Les moments intenses qui précèdent la tempête passèrent lentement sur cette partie du champ de bataille.
Le tir isolé d’un fusil éclaira un buisson face au régiment. En un instant, il fut suivi par de nombreux autres. Il y eut un formidable chant de craquements et de coups secs, qui balaya tout le bois. À l’arrière, les
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