Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
pouvaient vraiment comprendre la défaite.
Avant que les brumes grises ne soient complètement effacées par les rayons du soleil, le régiment en colonnes dispersées se retirait à travers bois avec précaution. Par moments les lignes rapides et désordonnées de l’ennemi pouvaient être vues plus bas à travers le bouquet d’arbres et les petits champs. Ils lâchaient des cris perçants et enthousiastes.
À cette vue l’adolescent oublia ses préoccupations personnelles et fût pris d’une grande rage. Il explosait en phrases bruyantes : « Par Dieu ! Nous sommes menés par un lot de têtes vides ! »
– « Plus d’un type dit ça aujourd’hui, » observa quelqu’un.
Son ami, qui venait de s’éveiller, était encore engourdi. Il regarda derrière lui jusqu’à ce que son esprit eut saisi la signification du mouvement. Alors il soupira : « Oh, hé bien, je suppose qu’on est battu, » remarqua-t-il tristement.
L’adolescent pensa qu’il n’était pas juste de condamner aussi facilement les autres. Il tenta de se retenir, mais sa bouche était trop amère. À présent il entamait une longue et tortueuse dénonciation du chef des forces armées :
– « P’ être, c’est pas entièrement sa faute… non pas tout à fait. Il a fait ce qu’il pouvait. C’est notre destin d’être souvent battu » dit son ami d’un ton fatigué. Ce dernier avançait péniblement, les épaules basses, et le regard qui se dérobait comme quelqu’un qu’on aurait battu à coups de canne et chassé à coups de pieds.
– « Hé bien, est-ce qu’on ne se bat pas comme des diables ? Est-ce qu’on ne fait pas tout ce que l’on peut ? » Demanda l’adolescent à voix haute.
Secrètement à part lui, il était stupéfait d’exprimer ce sentiment. Un moment son visage perdit de sa bravoure, et il regarda autour de lui avec un air coupable. Mais personne ne mettait en doute son droit à tenir de tels propos, le courage lui revenait. Il alla répétant une phrase qu’il avait entendu courir entre les groupes ce matin au camp : « Le général dit qu’il n’avait jamais vu un régiment de novices se battre comme on l’a fait hier, n’est-ce pas ? Et on n’a pas fait mieux que beaucoup d’autres régiments, n’est-ce pas ? Hé bien alors, tu peux pas dire que c’est la faute à l’armée, non ? »
Pour répondre, l’ami prit un ton sévère : « Bien sûr que non, » dit-il. « Personne n’oserait dire qu’on s’est pas battu comme des diables. Personne n’osera jamais le dire. Les gars se sont battus comme des damnés de l’enfer. Mais pourtant… pourtant… on n’a pas de chance. »
– « Hé bien alors, si on se bat comme des diables et qu’on ne gagne jamais, ça doit être la faute au général » dit l’adolescent avec hauteur, et d’un air tranchant. « Et je ne vois pas la raison de se battre, et se battre encore, et pourtant perdre, à cause de quelque chère tête vide de général. »
Un homme qui marchait à côté de l’adolescent, dit avec flegme et d’un ton sarcastique : « P’ être qu’tu crois qu’t’étais là durant toute la bataille hier, Fleming » remarqua-t-il.
Ces mots transpercèrent l’adolescent. En son for intérieur, il se sentait réduit à n’être qu’une chair molle et abjecte par ces paroles jetées au hasard. Ses jambes tremblèrent discrètement. Il jeta un regard rapide et apeuré vers le railleur cruel.
– « Hé bien non » se hâta-t-il de dire d’une voix conciliante. « Je ne crois pas que j’étais là durant toute la bataille hier. »
Mais l’autre semblait innocent de toute arrière-pensée. Apparemment il ne savait rien. Ce n’était que sa façon de parler : « Oh ! » répondit-il dans le même ton de calme dérision.
Néanmoins, l’adolescent sentit une menace. Son esprit rebutait à s’approcher trop près du danger, et depuis ce moment là il se tenait silencieux. La signification des paroles dites par l’homme avec ce ton sarcastique, le privait de toute l’humeur exaltante qui le distinguait des autres : il redevenait soudain une personne modeste.
On parlait à voix basse parmi les troupes. Les officiers étaient impatients et irritables, leurs faces ombrageuses annonçaient le malheur. En traversant la forêt, les troupes avaient l’air sinistre. Quand le rire d’un homme résonna dans la compagnie de l’adolescent, aussitôt une douzaine de soldats
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