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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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l’impression que ses compagnons et lui, aux abois, repoussaient sans cesse les assauts féroces de créatures glissantes qui revenaient toujours. L’éclat pourpre de leurs fusils ne semblait avoir aucune prise sur le corps de ces ennemis, qui paraissaient les éviter avec une aisance et une habileté que rien ne pouvait opposer.
    Quand il eut l’impression, comme dans un rêve, que son fusil n’était qu’un bâton inutile, il perdit le sens de tout, sauf celui de sa haine, de son désir de transformer en bouillie le brillant sourire victorieux qu’il sentait sur le visage de ses ennemis.
    La ligne enfumée des bleus roulait et se tordait comme un serpent écrasé, qui lancerait ses deux bouts ici et là dans une rage et une peur aiguës.
    L’adolescent n’avait pas conscience d’être debout sur ses pieds, il ne savait même plus où se trouvait le sol. En vérité il arriva jusqu’à perdre la notion même d’équilibre et tomba lourdement. Immédiatement après le voilà debout encore, et une pensée traversa le désordre de sa tête. Il se demanda s’il était tombé parce qu’il avait été touché. Mais ses soupçons s’envolèrent aussitôt, et il n’y repensa plus.
    Il avait pris une position avancée derrière le petit arbre, avec la ferme détermination de la tenir envers et contre tout. Il n’avait pas cru que son armée puisse gagner ce jour-là, et à cause de cela il trouva en lui les capacités de se battre plus rudement. Mais la foule surgissait de partout, au point où il perdait tout repère et toute direction, sauf celle de l’ennemi lui-même.
    Les flammes de son fusil le mordirent, la fumée chaude lui brûla la peau. Le canon de son fusil devenait si chaud qu’en temps normal il n’eut pu le prendre entre les mains, mais il continuait à mettre la poudre et à bourrer avec la baguette qui tintait et se tordait. S’il visait quelques formes changeantes à travers la fumée, il tirait sur la gâchette avec un grognement féroce, comme s’il donnait des coups de poing de toutes ses forces.
    Quand l’ennemi parut battre en retraite devant lui et ses camarades, il s’avança aussitôt comme un chien qui, voyant ses ennemis se relâcher, se retourne sur eux et insiste à être pourchassé. Et quand il fut à nouveau contraint à la retraite, il le fit lentement, sombrement, le pas comme chargé de colère et de désespoir.
    Dans sa haine intense, il fut presque seul à tirer encore quand tous ceux qui étaient à côté de lui avaient cessé. Il était si absorbé par l’action qu’il ne prît pas conscience de l’accalmie.
    Il fût rappelé à l’ordre par un rire enroué, et une phrase qui lui parvint à l’oreille dans une voix de reproche étonnée : « Toi ! l’infernal idiot, ne sais-tu pas qu’il faut abandonner quand il n’y a rien sur quoi tirer ? bon Dieu ! »
    Il se tourna alors et, faisant une pause, le fusil à moitié baissé, regarda la ligne bleue de ses camarades. Durant ce moment de détente, ils paraissaient tous le fixer du regard en spectateurs étonnés. Se tournant encore vers le front il vit sous la fumée qui s’élevait un terrain désert.
    Un moment il eut l’air complètement égaré ; alors apparut sur son regard vitreux et vacant, un éclair d’intelligence : « Oh » dit-il comprenant enfin.
    Il revint vers ses camarades et se jeta au sol. Il s’était couché comme un homme qu’on aurait battu. Étrangement sa chair était en feu, et le bruit de la bataille continuait à résonner dans ses oreilles. Il tâtonna en aveugle vers sa gourde.
    Le lieutenant faisait le fier. Il paraissait enivré par la bataille. Il cria à l’adolescent : « Par le ciel, si j’avais dix mille chats sauvages comme toi, en moins d’une semaine j’en aurais fini avec cette guerre ! ». En disant cela, il gonflait la poitrine avec un air de grande dignité.
    Quelques hommes murmuraient en jetant des regards quelque peu intimidés vers l’adolescent. Il était évident qu’ils avaient eu le temps de le voir charger et tirer en jurant, et sans reprendre haleine. Et maintenant ils le considéraient comme un diable de guerrier.
    L’ami vint vers lui en titubant. Il y avait de la peur et de la détresse dans sa voix : « Ça va bien Fleming ? Tu te sens bien ? Il n’y a rien qui cloche avec toi Henri, n’est-ce pas ? »
    – « Non » dit l’adolescent avec difficulté. Sa gorge était nouée et sèche.
    Ces incidents donnèrent

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