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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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à réfléchir à l’adolescent. Il se rendait compte d’avoir été un barbare, une bête. Il s’était battu comme un fanatique qui défendait sa secte. Toute considération faite, ce fut plein de fureur et de beauté, et aussi, en quelque façon, aisé. Sa silhouette fut sans doute terrible. Par cette lutte il avait franchi des obstacles qu’il prenait pour des montagnes. Elles tombèrent devant lui comme des sommets de carton, et maintenant il était ce qu’on appelle un héros. Il n’avait aucune conscience du cheminement suivi. Il s’était endormi, et en se réveillant, se retrouvait ennobli chevalier.
    Il se laissait admirer par les regards occasionnels de ses camarades, dont les visages variaient en degré de noirceur à cause de la poudre brûlée. Quelques-uns étaient complètement barbouillés. Ils fumaient sous l’effet de la transpiration, et leur respiration était difficile et sifflante, tandis que leurs faces noircies le regardaient.
    – « Bon travail ! Bon travail ! » criait le lieutenant comme en délire. Il marchait le long de la ligne sans repos, avide de recommencer. Parfois sa voix pouvait s’entendre en un rire incompréhensible et sauvage.
    Quand il avait une pensée particulièrement profonde sur l’art de la guerre, il s’adressait toujours inconsciemment à l’adolescent.
    Il y avait parmi les hommes une réjouissance quelque peu sinistre : « Mille tonnerres ! Je parie que cette armée ne verra pas de sitôt un régiment de novices comme le nôtre ! »
    – « Tu parles ! »
    – « Un chien, une femme et un noisetier. »
    Plus vous les battez, et mieux ils s’en trouvent ! »
    – « C’est comme nous autres ! »
    – « Ils ont perdu pas mal d’hommes, oui. Si on balayait la forêt, on en ramasserait une bonne pelletée ! »
    – « Oui, et dans environ une heure, il y en aura une autre pelletée à prendre. »
    La forêt était encore remplie de clameurs. Au loin sous les arbres parvenait le roulement sec de la mousqueterie. Chaque fourré distant apparaissait comme hérissé de flammes. Un nuage de fumée noire, comme issu de ruines fumantes s’éleva vers le soleil, maintenant brillant et gai dans l’émail bleu du ciel.

CHAPITRE DIX-HUITIÈME
     
    La ligne des bleus, en désordre, eut quelques minutes de répit ; mais durant cette pause, la lutte dans la forêt devenait si formidable que les arbres parurent secoués par les tirs et le sol trembler sous la ruée des hommes. Les coups de canon s’y mêlaient en une longue et interminable succession. Il semblait difficile de vivre sous pareille atmosphère. La poitrine oppressée, la gorge serrée, les hommes désiraient ardemment de l’eau et un peu de fraîcheur.
    Quand l’accalmie tomba, on entendit s’élever un cri de lamentation amer : quelqu’un avait reçu une balle qui lui traversa le corps. Peut-être criait-il durant le combat, mais à ce moment-là, personne ne l’avait entendu. À présent les hommes tournaient en direction des malheureuses complaintes du blessé étendu au sol. « Qui est-ce ? Qui est-ce ? ». « C’est Jimmie Rogers. Jimmie Rogers. »
    Quand dans un premier temps les regards tombèrent sur lui, on fit un arrêt soudain, comme si l’on craignait de s’en approcher. Lui se débattait sur l’herbe, en frissonnant et en se tordant le corps en d’étranges postures. Il hurlait très fort. Cet instant d’hésitation manifesté par ses camarades parût le remplir d’un formidable et extraordinaire mécontentement, et il les maudissait avec des cris perçants.
    L’ami de l’adolescent croyait savoir où se trouvait un cours d’eau, et il obtint la permission d’aller en chercher. Immédiatement les gourdes plurent sur lui. « Remplis la mienne veux-tu ? »… « Ramène-m’en à moi aussi. » « Et moi aussi »… Il s’en alla, chargé. L’adolescent accompagna son ami, se sentant le désir de jeter son corps brûlant dans le ruisseau, et là, bien immergé, boire jusqu’à plus soif.
    Ils firent une rapide recherche du cours d’eau supposé, mais ne le trouvèrent pas. « Il n’y a pas d’eau ici » dit l’adolescent. Ils revinrent aussitôt sur leurs pas.
    Depuis leur position, quand à nouveau ils firent face à la zone des combats, ils purent mieux comprendre le déroulement de la bataille, que lorsque leur vision était occultée par la fumée déversée par la ligne de front. Ils pouvaient voir des étendues

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