Le soleil d'Austerlitz
pas paraître se soumettre à Pie VII. Ils sont, le pape et lui, « les deux moitiés de Dieu ». Il descend de cheval, se dirige vers la voiture du souverain pontife, qui descend à son tour.
Ce n’est qu’un homme las.
Napoléon le dévisage durant quelques secondes, puis l’embrasse et fait avancer sa voiture d’Empereur. Il monte le premier, à gauche, laissant la droite au pape.
Il voit, sur le perron du château, Talleyrand qui s’avance pour accueillir le pape.
Mon ministre. Un ancien évêque rallié à la Révolution et retourné depuis à l’état laïque. Et marié. Rien n’est impossible en cette époque .
Il est apaisé maintenant. Le sacre aura lieu à la date fixée du 2 décembre.
Dans l’un des salons, Isabey a déployé un plan de Notre-Dame, et disposé de petits personnages de bois dont il a peint les habits de papier. Ils représentent les invités de la cérémonie. Napoléon fait le tour de la table, déplace certains des personnages. Voilà comment il faudrait pouvoir gouverner les hommes. Les soumettre à une nécessité supérieure. Et c’est pour cela aussi qu’il aime la discipline des armées. Les hommes y obéissent à la logique des pensées de celui qui les commande.
Il examine point par point les détails de la cérémonie, revoit les costumes, la place des uns et des autres, à chaque moment de la journée, dans le cortège et dans la cathédrale.
David se chargera de fixer pour l’Histoire la scène. Il faut un tableau qui parle à l’imagination, qui soit la représentation magnifiée de ce qui va avoir lieu.
Napoléon s’assombrit tout à coup. Il dit à David qu’il veut que Madame Mère figure sur le tableau. Puis, les mains derrière le dos, il s’éloigne. Letizia Bonaparte, têtue, a refusé d’assister à la cérémonie. Elle a préféré rejoindre Lucien en exil à Rome.
Il ressent cette absence comme une douleur, la preuve qu’il est impossible de plier les êtres, même les plus proches, à son désir de les faire participer tous à ses projets.
Cette pensée l’irrite.
Au grand dîner donné le 26 novembre dans la plus vaste des salles du château de Fontainebleau, il reste silencieux. Le pape, qui lui fait face, est un petit homme au teint blême mais aux yeux vifs, qu’il ne baisse pas.
Napoléon s’étonne qu’il refuse, après le dîner, d’assister au concert qu’offre Joséphine. Au moment où le pape quitte la salle, Napoléon surprend entre Pie VII et Joséphine un regard plein de connivence.
Il a tout à coup l’intuition que les choses lui échappent, que Joséphine et le pape se sont alliés contre lui.
Il essaie de chasser cette idée de son esprit, examine une nouvelle fois l’ordonnancement du cortège qui doit se rendre des Tuileries à Notre-Dame.
Le cardinal Fesch s’approche, commence à chuchoter. Sa Sainteté, dit-il, a appris que l’union entre Napoléon Bonaparte et Joséphine n’a pas été bénie, qu’ils ne sont donc pas mariés aux yeux de l’Église. Et Pie VII ne pourra participer aux cérémonies du sacre dans ces conditions, à moins que le mariage religieux ne soit célébré d’ici le 2 décembre. Et Fesch a obtenu du pape le droit de procéder à cette célébration.
Le piège s’est renfermé sur Napoléon.
La colère le submerge. Voilà ce qu’est cette femme qu’il a refusé de quitter, qu’il a défendue contre ses frères et ses soeurs. Il serre les poings. Il s’est toujours gardé de faire bénir leur mariage. Il a laissé ainsi la porte ouverte à la dissolution de ces liens. Un mariage civil se rompt par un jeu d’écritures.
Il hurle, bouscule Constant et Roustam lorsque ceux-ci l’aident à se déshabiller.
Il injurie Joséphine.
Puis, tout à coup, il se calme.
Que peut-il, sinon céder ?
Le 28 novembre, il est assis aux côtés du pape dans le carrosse qui, à dix-huit heures vingt-cinq, franchit la barrière des Gobelins. La foule est immense, recueillie. Certains s’agenouillent quand passe le souverain pontife. Napoléon observe ces manifestations de piété de la foule. Ainsi sont les hommes, prêts à se soumettre.
On traverse l’esplanade des Invalides, le pont de la Concorde, puis on longe le quai des Tuileries. Partout la foule se presse.
Il regarde souvent à la dérobée le pape qui répond par des bénédictions aux acclamations. Cet homme est une force. Et il le sait.
Quand la voiture s’arrête dans la cour des Tuileries, sous le
Weitere Kostenlose Bücher