Le soleil d'Austerlitz
péristyle de l’escalier du pavillon de Flore, Napoléon est résolu à s’incliner. Il fera bénir son mariage avec Joséphine par le cardinal Fesch. C’est la nécessité du moment. Et il faut s’y soumettre.
Le 30 novembre 1804, alors que le pape reçoit les représentants des grands corps de l’État, Napoléon se rend chez Joséphine. Elle est au milieu de ses dames du Palais.
Les vêtements de cérémonie, son grand manteau de cour de satin blanc brodé d’or et d’argent mélangé sont étendus sur des fauteuils et des canapés.
Napoléon dit d’un ton égal que le cardinal Fesch procédera à leur mariage religieux dans l’après-midi du 1 er décembre, à quatre heures dans les appartements particuliers des Tuileries.
Elle fait un pas pour s’approcher de lui, l’embrasser.
Il se dérobe.
Il ne sera pas prisonnier de ce piège qu’elle lui a tendu.
Ce mariage sera sans témoins, et donc plus facile à dissoudre.
La porte de l’avenir reste ainsi entrebâillée.
Il n’est pas un homme qu’on enferme.
31.
Enfin, cela commence !
Napoléon est assis dans la salle du trône des Tuileries. Il est onze heures ce 1 er décembre 1804. Les portes s’ouvrent, les sénateurs s’avancent, puis s’immobilisent à quelques mètres du trône.
C’est la première cérémonie. Celle par laquelle il est un empereur différent des autres, puisque le Sénat vient lui présenter les résultats du plébiscite et que François de Neufchâteau, le président du Sénat, déclare « revendiquer pour les républicains dont le patriotisme a été le plus fervent et le plus ombrageux, le droit d’être les plus fermes appuis du trône ».
Le discours est long. « Sire, vous faites entrer au port le vaisseau de la République, conclut François de Neufchâteau, oui, Sire, de la République. »
Napoléon se lève.
Demain, ce sera le sacre. Chaque moment de la cérémonie a été négocié avec le pape. Napoléon s’agenouillera et recevra l’onction pontificale. Mais c’est lui-même qui se couronnera et couronnera Joséphine. Le souverain pontife a accepté.
Ainsi sont réunis tous les signes du pouvoir, le sacrement religieux et le couronnement par moi-même. Comme aujourd’hui, 1 er décembre, c’est le vote du peuple qui me consacre .
— Je monte au trône, où m’a appelé le voeu unanime du Sénat, du peuple et de l’armée, dit-il, le coeur plein des grandes destinées de ce peuple que, du milieu des camps, j’ai le premier salué du nom de Grand, commence Napoléon.
Jamais Napoléon n’a été aussi sûr de lui-même. Il a enfin atteint ce but vers lequel il avançait.
— Depuis mon adolescence, continue-t-il, mes pensées tout entières lui sont dévolues et, je dois le dire, ici mes pensées et mes peines ne se composent plus aujourd’hui que du bonheur et du malheur de mon peuple.
Tous ces visages tournés vers lui forment comme une grande vague aux traits indistincts.
— Mes descendants conserveront longtemps ce trône, ajoute-t-il. Dans les camps, ils seront les premiers soldats de l’armée sacrifiant leur vie pour la défense du pays…
Il dit encore quelques phrases.
« Mes descendants » : ce sont ces mots-là qui restent dans sa gorge. Pourra-t-il léguer ce qu’il a conquis et construit ?
Il ne pense qu’à cela lorsque, dans l’après-midi du 1 er décembre, dans les appartements particuliers, il écoute le cardinal Fesch célébrer le mariage religieux avec Joséphine.
Lorsque la cérémonie est terminée, il entend Joséphine qui chuchote à Fesch qu’elle désire un certificat attestant qu’elle a reçu ce sacrement.
Elle a donc peur. Elle a compris pourquoi aucun témoin n’a assisté à la cérémonie.
Il ressent pour elle, devant cet aveu de faiblesse, un mouvement de tendresse.
Vivons ces jours ensemble. La Fortune décidera des événements futurs .
La nuit du 1 er au 2 décembre, il ne peut dormir. De six heures du soir à minuit se succèdent les salves d’artillerie tirées d’heure en heure. Il entend, entre les explosions, les musiques militaires qui parcourent les rues de Paris. Et, lorsqu’il approche de la fenêtre, il aperçoit les ouvriers qui, à la lumière des torches, sablent la cour du palais et la terrasse qui longe le château des Tuileries.
Il neige et il fait un froid glacial.
Le matin du 2 décembre, il se laisse vêtir par Roustam et Constant. Son costume de velours pourpre et blanc brodé d’or
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