Le soleil d'Austerlitz
dit.
— Si je la fais impératrice, c’est par justice. Je suis surtout un homme juste. Il est juste qu’elle participe à ma grandeur… Oui, elle sera couronnée, dût-il m’en coûter deux cent mille hommes !
Il rugit.
— Elle est toujours en butte à leurs persécutions. Il est bien facile à M. Joseph de me faire des scènes. Quand il a terminé, il n’a qu’à s’en aller chasser à Mortefontaine et s’amuser. Moi, en le quittant, j’ai devant moi toute l’Europe pour ennemie.
Il lève les bras.
— Et puis, on me parle toujours de ma mort. Ma mort ! Toujours ma mort ! C’est une triste idée à me mettre toujours sous les yeux… Mais si je mourais demain, toute ma maison serait d’abord contre Joseph…
Il se calme un instant.
— Je puis renverser ce système, que j’aie des enfants ou non. Il faut que la chose marche ; César, Frédéric n’ont point eu d’enfants…
Il donne un soufflet amical à Roederer.
— Vous devez être pour moi, marcher pour moi…
Il a placé ses mains sous les basques de son habit.
Un aide de camp entre. Il est treize heures. La messe va être dite. On attend l’Empereur.
Napoléon sourit.
— Le système, répète-t-il.
Il a donc décidé que Joséphine serait couronnée avec lui.
Ils la jalousent. Ils la haïssent trop pour qu’il ne se sente pas blessé par leurs attaques. Il la défend pour se défendre. Pour se respecter.
À dîner, dans la grande salle à manger de Saint-Cloud, il écoute ses soeurs et la femme de Joseph criailler parce qu’elles doivent porter la traîne de Joséphine lors de la cérémonie du sacre à Notre-Dame.
Elles le feront. Elles plieront .
Je suis l’Empereur. Je le veux .
30.
Il chasse. Parfois il donne de si violents coups d’éperon dans les flancs du cheval, que celui-ci se cabre, hennit et bondit. Mais Napoléon tire sur les rênes, maîtrise la monture, la dirige vers cette futaie sombre non loin de la route de Nemours, là où presque chaque jour depuis qu’il s’est installé dans le château de Fontainebleau, il poursuit les cerfs.
Voilà trois jours qu’il attend l’arrivée du pape. Il lance son cheval au galop et, couché sur l’encolure, il passe sous les branches les plus basses. Il a envie de hurler.
Chaque matin, lorqu’il lit les courriers des préfets qui annoncent le passage des quatre convois pontificaux, il peste. Ce pape en prend à son aise, avec sa suite de cent huit personnes et, rien que pour son entourage, dix carrosses et soixante-quatorze chevaux. Il en veut au cardinal Fesch de ne pas avoir su presser le souverain pontife pour qu’il se mette en route plus tôt.
Mais il y est décidé : il n’attendra pas au-delà du 2 décembre. Paris regorge de délégations. La tension monte entre les membres de sa famille. On se dispute à chaque rencontre ! Assez !
Il a aussi quitté Saint-Cloud pour cela, et il s’est installé le 22 novembre dans le château de Fontainebleau.
Il se promène dans le parc, malgré la pluie ou la bruine. Il s’enfonce dans le brouillard ou bien parcourt les appartements du connétable, que Vivant Denon, qui dirige le Louvre et qui fut de l’expédition d’Égypte, a préparés pour le souverain pontife.
Napoléon s’arrête devant un immense tableau représentant Les Filles de Béthulie marchant au-devant de David . Il se tourne vers Denon.
— Tableau d’inspiration religieuse, Sire, murmure ce dernier avec un sourire.
Napoléon quitte l’appartement. Il ne peut supporter cette attente. Il a convoqué le peintre Isabey, exige que celui-ci représente en une série de dessins les différentes étapes de la cérémonie du sacre, puisqu’on ne peut répéter dans Notre-Dame, les ouvriers n’ayant pas encore achevé les travaux d’embellissement.
Il veut un plan détaillé, comme pour une bataille. Et cette cérémonie en est une.
L’ont-ils compris, ceux qui, il le sait par les rapports de police, murmurent et se moquent ?
Le 25 novembre au matin, un aide de camp annonce que le pape approche, qu’il arrivera sur la route de Nemours.
Enfin.
Ce sera une rencontre de hasard, dit Napoléon.
Il sort du château à midi. Il est en habit de chasse. Il chevauche. Il fait froid et gris. Il fait halte à l’obélisque puis au polygone de tir de l’École militaire. On le salue par une salve d’artillerie. À la croix de Saint-Hérem, le grand veneur lui présente son rapport.
Car il chasse. Il est l’Empereur et il ne veut
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