Le souffle de la rose
le
meurtrier avait souhaité que le défunt reposât. Le chevalier du Temple l’avait
suivi, sans doute dans le but de l’achever dès que la drogue aurait produit ses
effets. Pourquoi ? Quelqu’un se trouvait là qui avait défendu la vie de
Leone en n’hésitant pas à prendre celle d’un commandeur templier. Un
protecteur, pas un vaurien ni un vil détrousseur. Qui ? Pourquoi ? Ce
défenseur était-il ensuite reparti avec la monture du templier ? Il sembla
à Francesco qu’un souvenir fugace se refusait à lui. Il tenta vainement de le
capturer et passa un doigt hésitant sur son front.
Une immense compassion le suffoqua lorsqu’il imagina le
cauchemar enduré par cet homme de Dieu et de guerre. Empoisonner un frère, l’abattre
comme le ferait un lâche nervi. Qui ? Qui pouvait posséder un pouvoir
suffisant pour contraindre un commandeur du Temple à une telle scélératesse ?
Même si l’ordre qu’avait reçu Arville émanait de son grand
maître ou de son chapitre, il devait avoir été approuvé par le pape lui-même.
Or, le pape était mort, et Benoît n’eut jamais commandé un acte d’ignominie.
Leone l’avait assez connu, respecté, aimé aussi pour parier sa vie sur cette
affirmation.
En l’absence de souverain pontife, qui possédait assez de
pouvoir pour organiser le meurtre d’un hospitalier ? La réponse était si
évidente qu’elle s’imposa dans sa plate monstruosité.
Palais du Louvre, Paris, octobre 1304
L’étonnement avait cédé place à l’inquiétude, puis bien vite
à la colère en Guillaume de Nogaret*, conseiller et confident du roi. Où donc
avait disparu ce Francesco Capella en qui il avait commencé de placer sa
confiance ? Le lendemain de son incompréhensible départ, Nogaret avait
dépêché un messager chez Giotto Capella, l’oncle de son nouveau secrétaire. La
missive qu’il lui avait fait parvenir était lapidaire et semée de menaces. Une
soudaine maladie clouait-elle Francesco dans son lit ? Nulle autre raison
ne pouvait, aux yeux de Nogaret, excuser son absence, et il détesterait en
vouloir à Giotto Capella de l’avoir si mal conseillé en lui vantant les
qualités d’un neveu qui s’avérait peu serviable et encore moins fidèle.
Affolé par cette lettre, Giotto Capella avait d’abord pensé
fuir la France sur-le-champ. Il s’était ensuite tassé sous les courtepointes
empilées sur son lit, songeant que si le conseiller du roi venait à comprendre
son rôle dans cette supercherie, sa vie ne tiendrait plus qu’à un fil ténu. Il
avait pleurniché des heures, grelottant et pourtant suant sous les couches de couvertures,
s’octroyant toutes les excuses qu’il pouvait trouver. Que pouvait un pauvre
banquier lombard comme lui contre le chantage que brandissait ce Francesco de
Leone ? Leone, les hospitaliers connaissaient sa responsabilité dans la
traîtrise qui avait permis aux Mamelouks d’enfoncer les dernières défenses de
la forteresse de Saint-Jean-d’Acre. Qu’aurait-il pu tenter si ce n’était obéir
à Leone et lui fournir l’identité fallacieuse de neveu, identité qui lui avait
permis de se faire engager par messire de Nogaret ? Certes, l’usurier se
doutait que le but du chevalier était d’espionner le conseiller du roi. Mais à
quoi aurait servi de l’avouer ? À rien de bon, du moins pour lui. Épuisé
de peur, Capella s’était ensuite décidé à ramper hors de sa couche pour rédiger
une réponse ampoulée. Il y relatait une soudaine histoire de demoiselle qui
aurait attiré son neveu dans ses rets, lui faisant quitter Paris sur un coup de
tête afin de la suivre jusqu’en Italie. Il évoquait le désespoir de l’oncle
atterré d’avoir mécontenté monsieur de Nogaret et terminait par une virulente
diatribe contre la jeunesse et ses folies. Elle n’avait pas convaincu monsieur
de Nogaret qui n’y avait vu qu’une bien pâle excuse.
Lorsqu’il avait lâché la page noircie de pattes de mouche incertaines,
une rage calme avait envahi le conseiller du roi. Au fond, il ne se pardonnait
pas d’avoir pu éprouver une sorte de communauté d’esprit avec ce Francesco
Capella, de lui avoir trouvé de l’intelligence et de s’être peut-être laissé
aller à de menues confidences. Il avait ensuite longuement réfléchi aux
informations qu’il avait divulguées, puis s’était rassuré. Il n’y avait pas là
de quoi fouetter un chat, en revanche, le sournois Giotto se mordrait les
doigts de
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