Le souffle de la rose
ses recommandations familiales. Nogaret veillerait personnellement à
ce qu’il n’obtienne jamais le poste de capitaine des Lombards que ce vaurien
briguait depuis si longtemps.
Guillaume de Nogaret ressassait toujours sa mauvaise humeur
ce matin-là. Outre un secrétaire zélé, il avait perdu une compagnie agréable.
Il se plongea dans ses écritures comptables. Une moue de déplaisir étira ses
lèvres minces lorsqu’il dressa l’inventaire des dernières ponctions opérées par
le frère du roi dans le Trésor. Comment mettre un terme à la frénésie dispendieuse
de Charles de Valois* sans courroucer le souverain ? Valois rêvait de
batailles, de reconquête, bref de lever des armées qu’il commanderait.
Francesco Capella avait eu raison de s’en inquiéter. À l’instant précis où son
secrétaire volatilisé lui revenait à l’esprit, un aboiement péremptoire lui
parvint des appartements royaux. Un des chiens de lièvre [20] de Philippe. Nogaret se tourna d’un
bloc vers la tapisserie suspendue derrière son dos, vers les gueules rouges
tissées sur fond indigo. Il se leva et souleva la tenture. Et si Francesco
était un espion ? Mais à la solde de qui ? Certainement pas de Giotto
Capella. Il examina le verrou qui condamnait le coffre creusé dans la muraille
sans rien détecter de suspect. Pourtant, le doute l’assaillait. Il tira de son
cou la chaîne qui soutenait la clef et dont il ne se séparait pas même pour
dormir, puis l’introduisit dans la mince serrure. Il lui sembla que le
mécanisme résistait un peu. Peut-être l’effet de son imagination. Enfin il
fouilla le contenu de la cache. Rien n’y manquait. Cependant, pourquoi le
carnet relié de veau noir se trouvait-il au-dessus des lettres ? Il avait
reçu ou écrit ces dernières après l’avoir consulté pour la dernière fois. En
toute logique, le carnet aurait donc dû se retrouver au-dessous ou coincé au
milieu d’elles. En était-il certain ? Après tout, le cadenas n’avait pas
été forcé. L’habitude du pouvoir avait aiguisé la méfiance de Nogaret. La
disparition soudaine de Francesco, si gauchement expliquée par son oncle,
ajoutait à son alarme. Puisqu’il ne pouvait plus interroger le neveu, l’oncle
rendrait gorge. Nogaret se dirigea vers la porte de son bureau afin de héler un
huissier mais se ravisa, la main sur la poignée. Admettre qu’il avait peut-être
manqué de prudence en ces temps si sombres et si troublés n’était-il pas une
erreur qu’il risquait de payer fort cher ? Enguerran de Marigny, déjà
chambellan du roi, manœuvrait pour conquérir les bonnes grâces du souverain,
aidé en cela par l’épouse aimée de ce dernier, la reine Jeanne de Navarre, dont
il était le confident et l’homme de confiance. Nogaret l’inquiet, le silencieux
et le bileux enviait l’aisance de son rival. Marigny parlait, évoquait,
spéculait avec des accents si émouvants ou si passionnés que ses interlocuteurs
prenaient chacun de ses mots comme parole d’Évangile. Guillaume de Nogaret se
savait incapable de lutter contre cette prestesse de langue et d’attitude. S’il
avouait au roi avoir été victime d’un espion qu’il avait lui-même recruté,
Marigny se servirait de cette faiblesse pour le discréditer. Que Giotto Capella
soit livré aux bourreaux le vengerait peut-être, mais n’affermirait certes pas
sa position en cour.
Après tout, rien de ce coffre secret ne semblait avoir été
déplacé. Nul doute qu’il se racontait des fables à faire peur.
Mais pourquoi diantre ce carnet se retrouvait-il au sommet
de lettres secrètes entassées postérieurement ?
Nogaret se réinstalla à sa table de travail et examina
quelques instants sa plume taillée. Non. L’ombre dont il louait les services n’était
pas assez mobile pour lui être d’un quelconque secours en la matière. Le
conseiller du roi détestait ce sycophante encapuchonné qui pourtant l’avait
bien secondé jusque-là. Pourtant, il y avait chez ce sbire une haine, une
rancœur, un désir de vengeance si perceptibles qu’ils donnaient froid dans le
dos. Porter préjudice semblait apaiser son âme tourmentée. Nogaret n’était pas
homme de gredinerie. S’il s’était rendu coupable de dols ou pis, la grandeur du
royaume en avait toujours été la cause et peut-être l’excuse.
Non, l’ombre ne pourrait pas fouiner afin de découvrir la
vérité sur Francesco Capella. Quant aux espions habituels, ils étaient
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