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Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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par la profondeur du gouffre que je découvre. Je grelotte d’une
glace intérieure qui m’avertit que le mal est là. Il est entré, escortant ce
Florin. Il s’est glissé parmi nous, il nous observe depuis. Je le sens qui épie
nos conversations, qui s’infiltre jusque dans nos prières. Il attend. J’ignore
quoi.
    Vous souvenez-vous ? Nous étions enfantes et
traversions à la suite de notre famille cette bourgade de Toscane. Vous
souvenez-vous de ce diable de chiffon vivement coloré que des petits paysans
brandissaient et qui m’avait terrorisée ? Je criais, je sanglotais,
refusant d’avancer d’un autre pas. Vous courûtes vers eux pour leur arracher
des mains et vous le jetâtes à terre pour le piétiner. Lorsque vous revîntes
vers moi. sous l’œil dépité des enfants, vous me dîtes en souriant : sa
force naît de ta foi en lui. Le diable a large dos, il est le bouc émissaire de
tous nos péchés et nous en décharge à faible prix.
    Vous aviez raison, ma sœur, et cette certitude me vaudrait l’excommunication
si l’on venait à l’apprendre. Le diable n’existe pas. L’homme est l’éternel et
l’unique champ de bataille du mal. J’ai vu l’une de ses complaisantes
conquêtes, je l’ai frôlée. Il m’a souri et il était si beau.
    J’ai peur, ma Claire.
    Adélaïde Condeau, sœur organisatrice des cuisines et des
repas de l’abbaye des Clairets, inventoria le contenu de l’armoire de l’herbarium
dans laquelle s’entassait une profusion de fioles, de sachets de jute, de
bouteilles de terre et de récipients divers. Elle se sentait presque coupable
de se trouver là, sans en avoir sollicité la permission auprès de l’abbesse ou
de la sœur apothicaire Annelette Beaupré, dont l’herbarium était le fief.
Annelette le défendait jalousement et avec une hargne qui surprenait parfois.
La grande femme impressionnait Adélaïde, encore jeune et vite intimidée. La
rumeur courait qu’Annelette, fille et petite-fille de médecins, ne s’était
jamais remise de ne pouvoir exercer à son tour leur art. Elle avait rejoint la
seule société qui le lui permit : l’abbaye. Adélaïde n’aurait pu jurer de
la véracité de ces affirmations, qui expliquaient peut-être pour partie l’arrogance
et l’acrimonie de la sœur apothicaire. Quoi qu’il en fût, il manquait à
Adélaïde de la sauge pour accommoder ces magnifiques lièvres qu’un mercier [21] de Nogent-le-Rotrou leur avait fait
porter la veille et qu’elle comptait agrémenter d’une purée de prunes ridées
aux premiers froids.
    La sauge était un remède commun, recommandé contre les maux
de tête et d’estomac, la paralysie, l’épilepsie, la jaunisse, les contusions,
les lourdeurs de jambes, les pâmoisons et tant d’autres maladies que la sœur
apothicaire devait en avoir fait provision durant l’été, d’autant que cette
plante médicinale entrait également  – en compagnie de vin blanc, de clous
de girofle, de gingembre et de poivre  – dans la composition d’une sauce
très goûteuse : le saugé. Adélaïde chercha du regard un grand sac sur
lequel devaient être brodés les mots salvia officinalis, sans succès. Elle repéra la pulicaire dysentérique, la salicaire, l’iris
fétide, la grande ortie, la bourrache et la bétoine, mais point de sauge.
Agacée, elle se demanda si la sœur apothicaire n’avait pas eu le peu de bon
sens de ranger le sac sur l’une des étagères situées en hauteur. Après tout,
elle était grande de taille et charpentée comme un homme. La jeune sœur tira un
tabouret et s’y hissa. À l’évidence, pas de sauge. Tendant le bras, elle
fouilla derrière la première rangée de poches et de fioles et sentit le sachet
de jute qui s’était glissé derrière. Elle l’extirpa de sa cachette.
    Sautant de son perchoir, Adélaïde étala sur la table de
pesée et de préparation le contenu du petit sac qu’elle venait de découvrir. La
farine bistre à l’odeur aigrelette ne pouvait être que du seigle. En revanche,
quel était cet abondant dépôt noirâtre ? Elle se pencha pour le humer. L’odeur
âcre de la moisissure la fit reculer.
    — Sœur Adélaïde ! claqua une voix derrière elle.
    La jeune moniale sauta en l’air et plaqua sa main sur sa
poitrine de surprise. Elle se tourna d’un bloc vers la sœur apothicaire dont
les vastes et précieuses connaissances médicales ne rachetaient pas le
caractère ombrageux, du moins selon elle.
    — Que

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