Le souffle de la rose
ne...
— Taisez-vous ! Ne comprenez-vous pas que tant que
vous vous tairez, la meurtrière souhaitera vous éliminer ? En revanche, si
je... si plusieurs d’entre nous entrent dans la confidence, s’en prendre à vous
n’aura plus d’objet.
Une grosse larme dévala le long de la joue de la sœur
gardienne des viviers et de la basse-cour, qui bredouilla :
— Je suis à bout...
— Confiez-vous, c’est votre seule défense.
Geneviève la fixait, si désireuse de la croire et pourtant
si apeurée.
— Je... Je vous ai vue dérober mes œufs, en grande
quantité. J’étais d’abord si ulcérée que je me suis demandé si je n’allais pas
en référer à notre mère. J’hésitais. J’ai pris l’avis d’Hedwige. Ce n’est qu’ensuite,
lors de cette scène dans le scriptorium, lorsque vous passâtes les bassinoires
sur nos semelles que j’ai compris que mes œufs étaient nécessaires à la
fabrication de votre piège.
— Ainsi, Hedwige était informée de mon... emprunt à vos
poules, et puisqu’elle était fort amie avec Jeanne, il est probable qu’elle lui
en ait parlé.
Geneviève acquiesça d’un signe de tête nerveux et murmura d’un
ton haché :
— C’est de ma faute... On les a empoisonnées à cause de
moi.
— Certes pas. Ôtez-vous cette sornette de la tête. Il faut
rentrer, Geneviève. Il faut rentrer et vous nourrir. Je vais rapporter notre
entretien à notre mère. Je vous conseille... Je vous conseille de bavarder avec
quelques sœurs, de propager vos inquiétudes.
— Mais l’enherbeuse... Je risque de me confier à elle.
— C’est ce que je souhaite. Si elle avait formé le
projet de se débarrasser de vous pour vous empêcher de parler, elle saura qu’elle
a été devancée et abandonnera son intention.
Le soulagement se lut sur le visage de la petite sœur, qui
serra Annelette dans ses bras avec force. L’autre, embarrassée par cette
effusion, se dégagea sans brusquerie et lui sourit en excuse :
— Je ne suis guère habituée aux marques amicales.
Geneviève hocha la tête et avoua :
— Je crois, chère Annelette, que nombre d’entre nous
vous ont méjugée. C’est que, vous avez l’air féroce... ajouta-t-elle dans un
soupir. Cependant, vous êtes, sans conteste, la femme la plus hardie que je
connaisse, la plus intelligente aussi. Je tenais à vous le dire.
Elle disparut sur ces mots et rejoignit les bâtiments dont
la lourde silhouette se détachait contre un ciel de lune.
Annelette resta là, contemplant les formes tassées des
volailles endormies dans leur abri. Elle ne doutait pas une seconde que
Geneviève lui eût raconté la vérité. Pourtant, cette histoire ne tenait
décidément pas debout. De cela aussi elle était certaine. En admettant qu’Hedwige
se soit ouverte à Jeanne des inquiétudes de Geneviève au sujet de ses œufs, il
fallait bien que Jeanne ait rapporté à son tour cette information pour
expliquer que les deux femmes aient été la cible de l’empoisonneuse. Sauf si
elles avaient partagé un mets ou un breuvage destiné à Hedwige. L’apothicaire
décida d’en avoir le cœur net avant le coucher. Elle remonta vers le dortoir
encore désert avant complies et pénétra dans la petite cellule voilée qu’occupait
Jeanne. La sœur tourière était assoupie. Le pied d’Annelette heurta un objet
qui protesta dans un son creux. Elle baissa le regard et découvrit un bol de
soupe vidé de son contenu. Bien. Jeanne se réalimentait et reprendrait vite des
forces. Elle ramassa le récipient et se rapprocha encore de la dormeuse. Son
épaisse semelle de cuir crissa et elle craignit que le petit son désagréable ne
réveillât sa sœur. Le brouhaha qui accompagnerait le retour des sœurs vers
leurs cellules de toile après complies avait toute chance de la tirer du
sommeil. Elle en profiterait pour s’entretenir avec elle.
Elle ressortit sans bruit et rabattit les voiles puis se
dirigea vers les cuisines pour y déposer le bol. Un petit crincrin accompagnait
alors ses pas. Elle regarda sous sa chaussure, certaine d’avoir ramassé un
gravillon dans les jardins. Un minuscule éclat brillait dans la pénombre. Elle
tenta de l’extraire et une douleur aiguë lui arracha une plainte. D’abord elle
ne vit rien. Ce ne fut qu’en approchant des lumières de la cuisine qu’elle se
rendit compte qu’elle saignait. Lorsqu’elle examina sa semelle de près, elle
comprit que le gravillon n’était autre qu’une
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