Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
Elisaba venait tout juste de terminer son noviciat et de
prononcer ses vœux définitifs. La femme entre deux âges, veuve d’un gros
commerçant de Nogent-le-Rotrou, avait reçu le soutien d’Annelette pour cette
charge. Elle était de taille et d’épaules à assommer quiconque tenterait un
vilain tour au-dessus de ses marmites. Quant à sa voix de stentor, elle en
impressionnait plus d’une lorsqu’elle assénait, poings sur ses hanches rondes :
« Mon nom est prédestiné. Il signifie : joie dans la maison de Dieu
le Père. Ne l’oublions pas, Dieu est joie ! » Nulle n’aurait eu le
peu de jugeote de la contredire car Elisaba, en dépit de sa générosité
bruyante, avait le caractère bien trempé, ayant passé sa vie d’épouse à secouer
des commis paresseux ou à rabrouer des clients indélicats.
    Annelette surprit des regards inquiets, méfiants. Toutes se
jaugeaient à la dérobée, cherchant quel visage familier, apprécié, dissimulait
la bête malfaisante. Elle suivait les regards qui ricochaient de l’une vers l’autre,
s’attardaient parfois, questionnaient en silence. Leur congrégation, jadis
paisible et à peu près harmonieuse, survivrait-elle à cette maladie pernicieuse
du soupçon ? Annelette n’en était pas certaine. De fait, si elle voulait
être lucide, force était d’admettre que ce qui les avait tenues ensemble était
avant tout la conviction que cette enceinte les protégeait de l’extérieur. Mais
la mort avait sournoisement rampé vers elles, faisant voler en éclats les murs
épais et leur certitude que la folie du monde ne pourrait jamais les atteindre
en ces lieux. Au fond, que redoutaient la plupart d’entre elles ? Le
poison ou se retrouver seules dehors, sans fortune, sans mesnie [70]  désireuse de les accueillir ?
Certes, la foi les avait guidées jusqu’ici, du moins presque toutes. Pourtant,
s’y mêlait maintenant la certitude que cette abbaye demeurait leur unique
refuge. Elle-même, la conquérante Annelette, que ferait-elle ? Elle
préférait n’y pas songer. Nul ne l’attendait dehors. Nul ne se préoccupait d’elle.
Sa seule existence, sa seule importance était concentrée entre ces murs. Cette
troupe de femmes disparates, dont certaines l’agaçaient, d’autres l’amusaient,
quelques rares l’intéressaient, était devenue son unique famille. Il n’en
existait plus d’autre ailleurs.
    Le repas se termina dans un mutisme pénible. Le raclement
des bancs sur le sol déchira le silence pesant. Annelette fut la dernière à se
lever de table et emboîta le pas à Geneviève Fournier. La sœur gardienne des
viviers bifurqua vers la gauche à la sortie du réfectoire, sans doute pour
couper par l’hostellerie afin de traverser les jardins et aller vérifier ses
élevages une dernière fois avant le coucher. Elle marchait d’un pas lent, tête
basse, courbée vers l’avant, oublieuse de ce qui l’entourait. La nuit était
tombée et Annelette la suivait à quelques toises, prenant garde de ne pas l’alerter.
Geneviève traversa le cloître, puis contourna la salle des reliques. Elle
longea les écuries et déboucha à l’entrée des vergers où se trouvaient les
poulaillers. Elle s’immobilisa devant la barrière faite de minces planches et
resta là, à contempler ses chères volailles. Une sorte de tendresse incongrue
envahit Annelette, qui s’était arrêtée, elle aussi. À quoi pouvait penser sa
sœur, figée ainsi dans la pénombre froide de ce début de nuit ? À Hedwige ?
À la mort ? Enfin Annelette se décida. Elle rejoignit Geneviève en
quelques enjambées et posa sa main sur son épaule. La sœur gardienne des
viviers et de la basse-cour sursauta en étouffant un cri. Annelette lut une
effroyable terreur dans son regard. Geneviève se reprit bien vite et força un
petit rire peu convaincant :
    — Quelle peureuse je fais. Vous m’avez surprise... Vous
aérez-vous, chère Annelette ?
    Celle-ci la considéra en silence quelques instants puis se
décida :
    — Ne croyez-vous pas qu’il est plus que temps ?
    — Pardon ?
    — Pourquoi craignez-vous tant d’être la suivante, au
point que vous vous affamez ?
    — Je n’entends rien à ce que vous insinuez, rétorqua d’un
ton sec la jeune femme.
    — Vous savez ou croyez connaître la raison du meurtre d’Hedwige
et de l’empoisonnement presque fatal de Jeanne, et c’est pour cette raison que
vous redoutez pour votre vie.
    — Je

Weitere Kostenlose Bücher