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Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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gris bleu souligné d’ombres malades lui
revint en mémoire. Pour elle, pour l’incomparable rose dont il avait tracé un
jour les pétales dans un grand carnet, Leone ramassa la dague ensanglantée. Il
se baissa vers le mourant, dégagea le col de sa robe et trancha d’un geste
rapide la gorge pâle.
    Un râle, un soupir. Le corps de Florin se détendit d’une
brutale secousse.
    Francesco de Leone considéra quelques instants le cadavre du
tortionnaire, cherchant au fond de lui si cette exécution lui apportait quelque
plaisir. Aucun, juste un éphémère répit. Une bête était morte, d’autres
prendraient sa place, il n’en doutait pas.
    Il récupéra son verre abandonné sur l’un des petits
guéridons italiens et le posa avec délicatesse sur le manteau de la cheminée.
Le deuxième s’était brisé sous la chute de Florin et le vin violine se mêlait
au carmin du sang. Il se baissa pour retirer les bagues luxueuses qui ornaient
les doigts de l’inquisiteur mort. Il bascula d’un coup de pied les deux
fauteuils qui churent sur le flanc. Il entrouvrit ensuite la robe de nuit
ensanglantée et dénuda le torse mince. Ainsi, l’on croirait à une rencontre
galante ayant mal tourné ou à un vol sanglant. Leone considéra sa mise en scène
puis retira son surcot souillé qu’il jeta dans l’âtre avant de rejoindre la
nuit.
    Dieu jugerait.
    Quant aux hommes, le chevalier se fiait à leurs langues
acerbes enfin déliées de la terreur qu’inspirait l’inquisiteur et à leur besoin
de revanche.
    Dieu jugerait.

 
Abbaye de femmes des Clairets, Perche, novembre 1304
    De la table juchée sur une estrade qui permettait de
surveiller le réfectoire, Éleusie balayait du regard les sœurs attablées aux
deux longues planches parallèles montées sur tréteaux, éclairées par la lumière
incertaine des torches de résineux.
    D’habitude, l’interminable salle bruissait de murmures
inopportuns puisque les repas étaient censés se dérouler en silence. D’habitude,
quelques petits gloussements malvenus s’échappaient toujours, méritant un
rappel à l’ordre de l’abbesse. D’habitude, la doyenne, la cellérière et la
chevécière soupaient à ses côtés. Mais Blanche de Blinot ne quittait plus son
chauffoir et Hedwige du Thilay était morte. Ne demeurait que Berthe de
Marchiennes, déshabillée de son arrogance passée, et qui ne ressemblait plus qu’à
ce qu’elle était au fond : une femme vieillissante et pathétique.
    Éleusie de Beaufort avait demandé à Annelette Beaupré d’occuper
la place laissée vacante par Hedwige afin d’éviter un autre douloureux rappel à
ses filles, mais l’apothicaire avait décliné l’offre. Elle pourrait bien mieux
espionner les réactions de chacune de son bout de table, certaine que la
meurtrière se méfierait davantage de la position surélevée occupée par la
hiérarchie.
    Annelette Beaupré ne quittait pas des yeux Geneviève
Fournier. La sœur gardienne des viviers et de la basse-cour était livide, ses
grands yeux noisette soulignés par des cernes d’un violet presque noir qui
trahissaient le manque de sommeil et de nourriture puisqu’elle n’avait presque
rien avalé depuis la mort atroce d’Hedwige du Thilay. Ce jeûne opiniâtre, que
beaucoup avaient mis au compte de la sympathie qui unissait les deux femmes,
intriguait l’apothicaire. Certes, elles s’entendaient bien, mais comme nombre d’autres
et certainement pas au point de se laisser dépérir de la sorte. Le regard d’Annelette
passa de place en place et un pincement lui serra le cœur lorsqu’il rencontra
les quelques fleurs arrachées à l’automne qui signalaient la place orpheline d’Adélaïde
Condeau et celle, toujours inoccupée, de Jeanne d’Amblin. Jeanne allait mieux
mais sa faiblesse la tenait toujours allongée.
    Annelette vit Geneviève porter son bol de soupe épaisse de
raves, de fèves nouvelles et de lard vers ses lèvres pour le reposer d’un geste
sec, d’une main tremblante. Sa sœur jeta un regard affolé autour d’elle et
baissa ensuite le front vers la table, martyrisant du bout des doigts la mie
foncée de son pain. Il n’en fallut pas davantage à l’apothicaire pour voir
clair. Geneviève mourait de faim mais elle était terrorisée, en dépit des précautions
qui avaient été prises en cuisine. Deux novices se postaient devant la porte,
surveillant les lieux pendant que la nouvelle sœur pitancière, Elisaba Ferron,
préparait les repas.

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