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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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dernière conquête, sur une
civière, escorté par les villageois qu'il avait si souvent conduits au combat
et qui gémissaient dans une plainte inlassable.
    – Allah Akbar, Allah Akbar  !
    Karim releva la tête et demanda à boire. Il avait quitté Castel dès les
premières lueurs du jour et n'avait rien bu mangé depuis quarante-huit heures.
    Leïla s'empressa de le servir.
    En passant devant la fenêtre entrebâillée de la cuisine, elle crut
entendre une exclamation en hébreu, mais elle pensa qu’elle avait dû rêver.

 
     
     
     
33
     
     
     
     
    Nous devons tout faire pour
nous assurer que les Palestiniens ne reviendront jamais. Les vieux mourront et
les jeunes oublieront.
     
    Mémoires, David Ben Gourion.
     
     
    Deir
Yassine, 9 avril 1948, 10 heures du matin
     
     
    Non, Leïla n'avait pas rêvé.
    L'opération Nachson, du nom du personnage biblique qui
aurait franchi le premier la mer Rouge lors de l'Exode d'Égypte, venait de
commencer. Cent trente-deux hommes appartenant à l'Irgoun et au groupe Stern [107] prenaient position autour de Deir Yassine.
    Une voix arabe
cria : «  Yahoud a’leïna  ! Les Juifs
arrivent »
    En effet, venant de deux directions différentes, par le
sud et par le nord, les commandos étaient en train d'investir le village.
    – Que se
passe-t-il ? s'écria Loubna Tarboush, les yeux dilatés par la peur.
    – J e... je ne sais pas,
bredouilla Marwan.
    Karim, lui, avait compris. Il dégaina en hurlant :
    – Les enfants !
Protégez les enfants !
    Leïla, revenue de la cuisine, se rua sur son frère et sa sœur et les attira vers la chambre
à coucher.
    – Sous le lit, commanda Karim,
cachez-vous sous le lit ! Sous les tables !
    Il courut se
poster près d'une fenêtre, l'arme au poing. Son ami Kassem fit de même.
     
    À quelques mètres de l'entrée de Deir Yassine, la voiture blindée
porteuse d'un haut-parleur s'était échouée dans un fossé coupant la
route du village.
    – Tant pis ! gronda Giora, le chef
du commando de l’Irgoun, l'intention de les prévenir était là.
    Il cala sa mitrailleuse et tira le premier.
    – Yahoud  ! Les Juifs !
    Le cri se répercuta dans les ruelles du village encore endormi comme
l'écho d'un tocsin.
    Les fenêtres de la maison des Tarboush volèrent en éclats. Un morceau
de verre taillada la joue de Loubna qui vit son sang jaillir par jets. Elle
n'eut pas le temps de prendre conscience de sa blessure qu'une balle lui
trouait le front. Elle s'écroula comme une poupée de chiffon.
    À l'extérieur, les Arabes s'étaient ressaisis et la bataille faisait
rage. Le commando parut déconcerté. Jamais il ne se serait attendu à une telle
résistance. Il ne lui fallut pas moins de deux heures pour atteindre le cœur de
Deir Yassine. Personne ne semblait avoir imaginé qu'il eût été aussi difficile
de s'emparer d'un village de paysans. Une sorte d'hystérie s'empara du
commando, alors même que la résistance à leurs assauts commençait de faiblir.
Dans un mouvement frénétique, les hommes s'élancèrent en tirant dans tous les
sens.
    Un couple de jeunes mariés et trente-trois de leurs voisins furent
jetés hors de chez eux, alignés contre un mur et mitraillés à bout portant. La
voisine des Tarboush, enceinte de huit mois, fut arrachée au cadavre de son époux. Un combattant lui
ouvrit le ventre et sortit l'enfant de ses entrailles.
    Ces scènes d'effroi se reproduisirent encore et encore. Viols, boucherie.
Spectacle qu'aucun mot n'eût pu décrire. Près de vingt-cinq hommes interpellés
chez eux furent chargés dans un camion,
emmenés dans une carrière et abattus de sang-froid.
    Arrivé au milieu de la matinée, Mordechaï Raanan, le chef de l'Irgoun
de Jérusalem, décida de raser les dernières maisons où les Arabes résistaient
encore. Pour ce faire, il recourut à la technique utilisée par son organisation
contre les postes de police britanniques et fit dynamiter systématiquement tout
bâtiment d'où partaient les coups de feu.
    Peu après midi, une chape de plomb s'abattit sur Deir Yassine. D'un
village souriant la veille il ne restait désormais que des ruines.
    Et cent sept cadavres.
     
    Karim battit des paupières.
    Du revers de sa manche, il essuya partiellement la poussière et le sang
qui maculaient son visage et examina le décor autour de lui.
    De la maison des Tarboush ne subsistaient que deux pans de mur. Il se
redressa doucement. Le mouvement lui arracha un cri de douleur. Une

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