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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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balle
s'était fichée dans sa cuisse. Une autre à hauteur de sa hanche. Il n'en avait
même pas senti l'impact.
    Sous des gravats, il aperçut le corps sans vie de Marwan Tarboush
couché sur celui de sa femme.
    Où était Leïla ? Et Kassem ? Les enfants ?
    Dans un effort surhumain il essaya de ramper vers ce qu'il restait de
la chambre à coucher, mais un voile opaque recouvrit ses yeux, et il bascula
dans un abîme profond comme la nuit.

 
     
     
     
34
     
     
     
     
    Mes lèvres sont les bords
d’une blessure brûlante.
     
    Pierre Louÿs.
     
     
    La Nakba , la catastrophe.
750 000 hommes, femmes, enfants, se préparaient à prendre le chemin de l'exode. La terreur s était
emparée des villages. On tremblait en chucho tant le mot devenu
symbole : « Deir Yassine, Deir Yassine. »
    Pourtant, les symptômes avant-coureurs n'avaient pas manqué. Mais les
Arabes avaient espéré. Espéré quoi ?
    Au lendemain du massacre, au Caire, devant l'université
d'El-Azhar, un jeune homme de vingt-deux ans, monté sur une table, harangue la
foule :
    – La preuve est faite que l'Occident est de mèche avec nos ennemis puisqu'il n'y
a pas eu la moindre condamnation ! Pas un seul cri indigné ne s'est élevé de ces pays qui
furent, il y a peu encore, les bourreaux des Juifs ! S'il nous reste du
sang dans les veines, si nous prétendons encore être des hommes, des Arabes et
des disciples du Prophète, nous devons exiger une intervention militaire de nos
gouvernements, une intervention immédiate ! Nous ne serons pas les bêtes
de sacrifice des sionistes !
    Un
tonnerre d'applaudissement éclata la place, encourageant le jeune homme à
poursuivre :
    – Lorsque les Espagnols brûlaient des Juifs sur les
bûchers parce qu'ils les tenaient pour des suppôts de Satan, qui leur a offert un refuge ?
Le droit de pratiquer leur religion ? Où se sont-ils réfugiés pour fuir
l'oppression des Occidentaux, Pogroms, les humiliations, les ghettos ?
    Il reprit son souffle. On le sentait gagné par sa propre
émotion.
    – Nous, les Arabes,
nous nous sommes comportés avec eux comme des gens civilisés, alors que ceux
qui prétendent nous donner des leçons se comportaient, eux, comme des bêtes
sauvages.
    Nouvelles ovations. Même les policiers partageaient
l'enthousiasme de la foule. L'orateur enchaîna ensuite sur les infamies et les
avanies que l'Égypte subissait depuis plus de soixante-dix ans. Il dressa un
tableau étonnamment précis de la situation et acheva son discours en
proclamant, poing levé :
    – Vive l'Égypte !
Vive la Palestine !
    Nouveau tonnerre d'applaudissements. On voulut le porter
en triomphe, il refusa.
    Au prix de mille difficultés, Taymour Loutfi se fraya un
chemin vers le jeune homme de vingt-deux ans qui venait de s'exprimer avec tant
de brio.
    Lorsqu'il réussit enfin à le rejoindre, il lui dit
simplement :
    – Je t'aime, Hicham. Je
t'aime, mon fils.
    Et ils s'étreignirent.
     
     
    *
     
     
    Haïfa, 15 avril 1948
     
     
    Leïla Tarboush tendit à Karim une tasse qui embaumait
fleur d'oranger.
    – Bois, cela te fera du
bien.
    Karim se releva et s'adossa contre la tête de lit.
    – Dieu bénisse tes
mains.
    Elle effleura délicatement son front et dit :
    – Je ne m'habituerai
jamais à tes yeux. Un iris marron l'autre bleu. C'est très bizarre.
    Il n'émit aucun commentaire. Dans son cerveau
bourdonnait toujours la scène effroyable qu'il avait vécue, hanté par des cadavres de Kassem, Wissam et Yasmina. Alors que deux brancardiers
de la Croix-Rouge internationale le portaient vers une ambulance, il avait eu
le temps d'apercevoir les trois corps déchiquetés entre les gravats.
    Mourad et Mona étaient entrés dans la chambre.
    – Tu sembles aller beaucoup mieux, constata la mère de Karim.
    Elle s'efforçait d'adopter un ton léger, mais on voyait bien que le cœur
n'y était pas. Ses traits restaient tendus, l'expression était lasse. Il n'est
pas dans la logique de la vie que des parents enterrent leur enfant ;
c'est de cette peur rétrospective qu'elle ne s'était pas remise.
    – Où est Soliman ? s'informa Karim.
    – À Jérusalem, répondit Mourad.
    – Et Castel ? Nos troupes
tiennent-elles toujours Castel ?
    Son père mit un temps avant de répondre :
    – Non. Malheureusement. Le jour même où
vous avez conquis le village, une fois le décès d'Abd el-Kader connu, la
plupart des hommes sont retournés à Jérusalem afin d'accompagner sa dépouille.
Les

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