Le souffle du jasmin
cerveau de ces gens ? Comment peuvent-ils imaginer que
nous ayons cru un seul instant au discours de leur général Maude ?
Il cita avec une emphase volontaire :
– « Sachez que les Anglais sont venus en Irak en
libérateurs et non en conquérants ou en ennemis ! Ils ne désirent pas
imposer une domination étrangère au pays ! » Nous prennent-ils
vraiment pour des ânes ? Ils s'attendaient à ce que nous les recevions
avec des youyous ?
Quelqu'un ironisa :
– Ce discours me rappelle celui que votre général
Abounaparte prononça en envahissant l'Égypte. Vous vous en souvenez, monsieur
Levent ?
Avant que le diplomate eût le temps de
répondre, l’Irakien déclamait :
– « Égyptiens ! On vous
dira que je viens pour détruire votre religion ; c'est un mensonge, ne le
croyez pas ! Je viens vous restituer vos droits, punir les
usurpateurs ! » Avouez que c'est risible. Les Anglais vous plagient !
Levent commençait à s'impatienter. Il
comprenait de moins en moins la raison de sa présence ici. Si c'était pour
tancer la France par le biais de son représentant, l'affaire allait vite être
entendue. Il répliqua sèchement :
– Il n'en est pas moins vrai que
nous, les Français, avons ouvert une civilisation au monde et que nos savants
ont fait parler des mots qui étaient emmurés dans le silence depuis des
millénaires. En moins de trois ans, notre Bonaparte a fait gagner plusieurs
décennies à l'Égypte. On ne peut pas en dire autant des Britanniques qui
l'occupent depuis quarante ans !
Abdel Rahman el-Keylani plongea ses
yeux dans ceux du diplomate.
– J'en conviens. Alors, pourquoi
diable avoir tout gâché depuis ? M. Picot est bien français !
Comment a-t-il pu concevoir, avec son collègue M. Sykes, que l'on pouvait
manger une partie du monde comme on avale un plateau de ataiefs [44] ? Erreur. Ils sont tombés sur des figues de barbarie et les épines vont
leur rester en travers de la gorge.
– Permettez-moi de vous rappeler tout
de même les termes du traité. Ni la France ni l'Angleterre n'ont l'intention de
« manger » vos pays, qu'il s'agisse de l'Irak, de la Syrie, de
l'Égypte ou de la Palestine. Le traité Sykes-Picot se limite à placer ces États
sous mandat, le temps de leur permettre officiellement d'accéder à
l'indépendance et à la souveraineté, une fois qu'ils auront atteint un niveau
suffisant de maturité politique et de développement économique.
Le neveu d'El-Keylani éclata d'un
rire tonitruant.
– Monsieur Levent ! Je n'en suis
qu'à ma deuxième année de droit, mais je sais déjà ce que signifie le terme
« mandat » ! C'est un contrat par lequel une personne, le
mandant, donne à une autre personne, le mandataire, le pouvoir d'agir en son
nom et pour son compte.
Le jeune homme balaya l'assistance du
regard.
– Avons-nous accordé ce
pouvoir ? Ou l'Égypte ? Ou la Syrie ? Ou la Palestine ? Et
qui décide du moment où un pays a atteint « un niveau suffisant de
maturité politique et de développement économique ? » Le mandataire ?
Le mandant ? Allons, c'est une plaisanterie !
– De toute façon, lança quelqu'un,
les Anglais ont déjà appris à leurs dépens
qu'il existe un autre sens au mot mandat.
Il frappa dans ses mains et commanda du
thé pour tout le monde.
– Vous êtes, j'imagine, au courant de
ce qui s'est passé à Najaf, il y a un an ?
– L'assassinat d'un officier de Sa
Majesté ?
– Le capitaine Marshall, oui. Nos
frères l'ont liquidé pour l'exemple dans le Khan Atiyya, où il avait élu
domicile. L'ensemble de la ville de Najaf, avec ses quatre quartiers, s'est
soulevé contre l'occupant et les représentants de la chère Grande-Bretagne ont
été expulsés. Les Britanniques ont vite compris leur malheur. Nous leur avons
cloué le bec !
– Ils auraient pu donner l'assaut,
ils ne l'ont pas fait. Preuve de retenue, vous ne pensez pas ?
Ce fut Rachid qui répliqua, toujours
aussi fougueux :
– Un assaut militaire contre une
ville sainte ? Vous plaisantez ! Il aurait eu pour effet immédiat le
soulèvement généralisé de l'ensemble du pays chiite.
Le naquib reprit :
– Ils ont préféré soumettre Najaf à
un blocus total et exigé la reddition des chefs des insurgés, le paiement à
titre de dédommagement de cinquante mille Livres Sterling en or ou
l'équivalent, et, enfin, l'exil de cent Najafis aux Indes en tant que
prisonniers de guerre !
Une voix
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